Le blog de Mgr Claude DAGENS

Autour de la fin de vie. Après le rapport Sicard : que penser ? Que faire ? Introduction à la conférence du Professeur Gil, par Mgr Dagens, le 9 septembre 2013

10 Septembre 2013 Publié dans #Interventions diverses

Il est facile de présenter le professeur Roger GIL. Il est plus difficile d’évoquer les réalités très sensibles qu’il va aborder ce soir, puisque ce sont des réalités de vie et de mort, qui, d’une certaine manière, nous concernent tous, puisque nous sommes tous vivants et destinés à mourir.

Je partirai d’une réflexion décisive et profonde qui a été faite ici-même, il y a deux ans, lors d’un colloque organisé par les Communautés de l’Arche, présentes en Charente, sur le thème : « Des fragilités interdites ? »

Un des intervenants à ce colloque a cité cette parole de Jean Vanier, le fondateur de l’Arche : « Nous naissons fragiles. Nous vivons fragiles. Nous mourrons fragiles. » Mais comment consentir à cette fragilité ? Comment la comprendre et l’assumer comme un élément constitutif de notre finitude humaine ?

Le rapport demandé par le président de la République au professeur Didier SICARD insiste beaucoup sur cette condition de finitude, à laquelle font obstacle le rêve ou le désir d’une maîtrise absolue de notre vie et de notre mort.

Comment passer du rêve à la réalité, pour faire face à la mort et à la fin de vie ? Ces termes généraux recouvrent, impliquent des visages, des personnes qui sont affrontées à des maladies graves, à des angoisses, à des souffrances et au désir de mourir dans la dignité.

Mais afin de mourir dans la dignité, faudrait-il affirmer un droit à la mort et faudrait-il qu’une loi reconnaisse ce droit à la mort ?

Et que signifierait ce droit à la mort ? S’agit-il de pouvoir décider de sa mort, jusqu’à demander une assistance au suicide ? Ou s’agit-il aussi et surtout de pouvoir assumer sa mort, de ne pas être privé de sa propre mort ?

Et que faire pour que les malades soient effectivement associés à ces éventuelles décisions ? Comment faire pour que la médecine ne soit pas seulement curative, et dominée par l’obsession des performances, selon une logique d’entreprise qui déterminerait l’action des services hospitaliers ? Comment développer les soins palliatifs non seulement dans des services particuliers, mais d’une façon plus large et même au domicile des malades, en exerçant cet accompagnement humain dont des personnes en fin de vie ont besoin ? Comment donner aux malades la liberté de parler, d’exercer leur liberté et leur autonomie, sans avoir à s’abandonner à des choix posés à l’extérieur d’eux-mêmes, parfois de façon clandestine et hypocrite ?

Voilà les questions très sensibles qu’aborde le rapport Sicard en vue d’éventuelles modifications ou élargissements de la loi Leonetti qui, en 2005, a déjà tenté de faire face à ces situations délicates et qui demeure ignorée ou peu appliquée, alors qu’elle s’oppose clairement à l’obstination déraisonnable dans la poursuite des traitements ?

Le professeur Roger GIL est un ami de longue date. Il est aussi un médecin qui, depuis des années, réfléchit à ces questions éthiques, comme neurologue, professeur à la Faculté de Médecine de Poitiers, puis Doyen de cette Faculté, et maintenant responsable de l’Espace éthique du Centre universitaire de Poitiers.

Les réflexions qu’il va nous proposer ce soir sont importantes pour tous, croyants et incroyants, parce qu’elles sont des questions d’humanité commune. Et nous, catholiques en France, nous avons besoin de comprendre que nous sommes situés sur ce terrain d’humanité commune, de société commune, et c’est pourquoi j’ai mis ces réalités sensibles au programme de notre année pastorale, sous le titre : « FAITS POUR LA VIE ET ÉPROUVÉS PAR LA MORT ».

Merci, Docteur GIL, de venir nous inciter à réfléchir de façon raisonnable à ces réalités qui suscitent parfois des passions et des peurs ! Merci de nous aider à y voir plus clair !

Texte du Professeur Roger Gil : Rentrée : Les chantiers de la bioéthique

Débats publics, États généraux de la bioéthique, les citoyens seront appelés à débattre à partir de l’automne, sur ce qu’il est convenu d’appeler des « questions de société ». Elles concernent la fin de vie et la Procréation médicalement assistée.

La République n’a par contre pas souhaité que l’expérimentation sur l’embryon fasse l’objet d’un débat public. Un vote parlementaire estival a transformé le régime « d’interdiction avec dérogation » en « autorisation avec encadrement ». Même si l’on s’accorde à dire que dans les faits, la loi ne fera pas monter en flèche le nombre d’expérimentations embryonnaires, certains journaux se sont ornés d’un titre curieusement jubilatoire : « La recherche sur l’embryon enfin autorisée » ! L’ancienne loi fut traitée d’hypocrite et fut même accusée de décourager les firmes de biotechnologies ! Il n’empêche que l’interdiction avec dérogations procédait d’un souci anthropologique, celui de respecter la pluralité des opinions éthiques de la nation en maintenant le principe de respect de la vie dès son début et en admettant la possibilité de dérogations à ce principe. Il est dommage que le refus d’un débat public pré-législatif ait privé les citoyens de cette « éthique de la discussion » qui fait grandir la conscience éthique de chacun, dépassionne les prises de position et cultive la tolérance. Une question entre bien d’autres aurait mérité un questionnement au-delà des réponses législatives : quels arguments éthiques permettent que la Loi française proclame compatibles le principe du respect de la vie dès son début et une expérimentation non plus dérogatoire mais autorisée, donc de droit, sur des embryons congelés dépourvus de projet parental ? On entrevoit ainsi ce qui distingue la Loi, faite de réponses, de l’éthique, ouverte au questionnement.

Par contre le Comité Consultatif National d’éthique (CCNE) a souhaité organiser un débat citoyen sur les indications de la Procréation médicalement assistée (PMA) avant d’exprimer un avis qui précèdera une éventuelle modification de la Loi. En effet la loi de bioéthique de juillet 2011 avait maintenu que la PMA ne pouvait avoir que des indications médicales : le risque de transmettre à l’enfant une maladie d’une particulière gravité et la réponse au désir d’enfants de couples infertiles, la loi n’imposant ni que les couples soient mariés ou « pacsés » mais seulement qu’ils mènent une vie commune depuis au moins deux ans. Doit-on élargir les indications de la PMA à des indications non médicales ? Il en serait ainsi

-des femmes seules qui désirent avoir un enfant sans relation sexuelle

-des femmes qui demandent un prélèvement et une congélation d’ovocytes pour reporter leur grossesse par Fécondation in vitro à dix ou vingt ans plus tard, afin que la grossesse n’ait pas de conséquence néfaste sur leur carrière professionnelle

-des couples de femmes, ce qui nécessiterait le recours à un tiers anonyme donneur de gamètes mâles

-des couples d’hommes, ce qui nécessiterait le recours à l’utérus d’une femme dans le cadre « contractuel » d’une « gestation pour autrui ».

On voit que dans tous ces cas il n’existe pas d’infertilité pathologique mais un désir d’étendre les indications de la PMA dans le champ non plus médical mais sociétal en instaurant en quelque sorte un « droit à l’enfant ». Et si ces indications sociétales étaient retenues, faudrait-il faire porter le coût de la PMA à la collectivité nationale sous forme d’une prise en charge par l’Assurance Maladie ? Le faire reviendrait faire porter à l’Assurance maladie des coûts qui ne relèveraient pas de « maladies » mais de projets de personnels ? Ne pas le faire reviendrait à faire une discrimination par l’argent. Et reste aussi à débattre du droit aujourd’hui refusé aux enfants nés d’un Fécondation in vitro à partir des gamètes de l’un des parents et d’un don anonyme (le plus souvent des spermatozoïdes), d’accéder à la connaissance de l’identité de son géniteur. Les états généraux de la bioéthique sur la PMA seront organisés à partir du début de l’année 2014.

C’est au début de l’été que le CCNE a publié son avis sur la fin de vie. Six propositions ont fait l’objet d’un accord unanime. Parmi elles ont été soulignées la nécessité de rendre accessible à tous le droit aux soins palliatifs en développant notamment l’accès aux soins palliatifs à domicile, la nécessité d’associer pleinement la personne et ses proches à tous les processus de décision concernant la fin de vie, le respect des directives anticipées émises par la personne. Ce dernier point est plus complexe qu’il n’y paraît car il ne saurait s’agir de directives anticipées d’ordre général, comme «plutôt dormir que souffrir » mais de directives spécifiques à la maladie concernée. Le Comité a aussi souligné le droit de la personne en fin de vie à une sédation profonde non pas pour entraîner la mort mais jusqu’à la mort, si tel est son souhait et si elle a déjà demandé à voir interrompus ses traitements, son hydratation voire son alimentation. On admettrait ainsi que la demande par une personne en fin de vie d’être endormie suppose des souffrances intolérables, ce qui alors apparaît comme un complément à la loi Léonetti. Enfin en ce qui concerne le droit d’une personne en fin de vie à avoir accès à une assistance médicale au suicide, 32 membres sur 40 ont recommandé d’en rester à la loi actuelle en maintenant une distinction entre le « laisser mourir » et le « faire mourir ». C’est au débat public de poursuivre la réflexion sur ce sujet. Il sera organisé au cours du dernier trimestre 2013.

De la procréation médicalement assistée à la fin de vie on saisit les enjeux des débats publics qui s’annoncent. Chaque citoyen doit se sentir concerné en participant aux débats, en sollicitant des formations pour nourrir sa délibération éthique. La bioéthique, c’est-à-dire l’éthique de la vie concerne la manière d’entrer dans la vie et d’en sortir, la manière d’accompagner des vies toujours menacées de vulnérabilité mais où l’humain doit demeurer d’un bout à l’autre de leur parcours.

RAPPORT SICARD SUR LA FIN DE VIE (décembre 2012)

Conclusion

Tous les échanges avec les personnes rencontrées, les nombreux témoignages, les déplacements dans la France entière et à l’étranger, les rencontres, les auditions, mettent au jour une réelle inquiétude sur les conditions préoccupantes, trop souvent occultées, de la fin de vie en France et l’impasse des réponses posturales.

La commission rappelle deux observations centrales :

· l’application insuffisante depuis 13 ans de la loi visant à garantir l’accès aux soins palliatifs, depuis 10 ans de la loi relative aux droits des malades (loi Kouchner), et l’enfin depuis 7 ans de la loi Leonetti.

· le caractère particulièrement dramatique des inégalités au moment de la fin de vie.

Après ses recommandations largement développées, la commission souligne avec force :

· avant tout, l’impératif du respect de la parole du malade et de son autonomie.

· le développement absolument nécessaire d’une culture palliative et l’abolition de la frontière entre soin curatif et soin palliatif.

· l’impératif de décisions collégiales.

· l’exigence d’appliquer résolument les lois actuelles plutôt que d’en imaginer sans cesse de nouvelles.

· l’utopie de résoudre par une loi la grande complexité des situations de fin de vie[1].

· le danger de franchir la barrière d’un interdit.

Si le législateur prenait la responsabilité d’une dépénalisation d’une assistance au suicide, deux points majeurs doivent être ici affirmés avec netteté :

· la garantie stricte de la liberté de choix en témoignant de l’autonomie de la personne.

· l’impératif d’impliquer au premier chef la responsabilité de l’Etat et la responsabilité de la médecine.

De même, si le législateur prenait la responsabilité d’une dépénalisation de l’euthanasie, la commission entend mettre en garde sur l’importance symbolique du changement de cet interdit car :

· l’euthanasie engage profondément l’idée qu’une société se fait du rôle et des valeurs de la médecine.

· tout déplacement d’un interdit crée nécessairement de nouvelles situations limites, suscitant une demande indéfinie de nouvelles lois.

· toute médecine comporte sa part d’action aux confins de la vie sans qu’il soit nécessaire de légiférer à tout coup.

La commission entend à l’issue de son travail souligner qu’il serait illusoire de penser que l’avenir de l’humanité se résume à l’affirmation sans limite d’une liberté individuelle, en oubliant que la personne humaine ne vit et ne s’invente que reliée à autrui et dépendante d’autrui. Un véritable accompagnement de fin de vie ne prend son sens que dans le cadre d’une société solidaire qui ne se substitue pas à la personne mais lui témoigne écoute et respect au terme de son existence.

[1]. « Ne légiférez qu’en tremblant, ou bien, Entre deux solutions, préférez toujours celle qui exige le moins de droit et laisse le plus aux mœurs ou à la morale » CARBONNIER, Jean, Flexible droit, Librairie générale de Droit et de Jurisprudence, EJA, Paris, 1988.

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