Le blog de Mgr Claude DAGENS

CRUAUTÉ DES HOMMES ET FORCE DES MARTYRS. Messe à Ruffec le 13 septembre 2015 et 20e anniversaire de la béatification de Jacques-Morelle Dupas, martyr des pontons de Rochefort

14 Septembre 2015 Publié dans #Homélies

CRUAUTÉ DES HOMMES ET FORCE DES MARTYRS. Messe à Ruffec le 13 septembre 2015 et 20e anniversaire de la béatification de Jacques-Morelle Dupas, martyr des pontons de Rochefort

Les martyrs, comme Jacques-Morelle DUPAS, ne sont pas pour nous des morts, mais des signes, et des signes vivants, durablement vivants, à la fois de la cruauté des hommes et de cette force que Dieu donne à ceux qui acceptent de participer à la Passion de son Fils.

Nous n’avons pas choisi les textes de la Parole de Dieu de ce dimanche, mais ils nous conduisent au cœur même de ce mystère de la vie humaine associée à la Pâque de Jésus. Dans l’Évangile de Marc, c’est un tournant, marqué par ce dialogue entre Jésus et Pierre, mais ce dialogue débouche sur un affrontement. « Tu es le Christ, le Messie de Dieu, Celui que nous attendons ! » a proclamé Simon-Pierre pour répondre à la question de Jésus. Mais quand Jésus annonce ce qui l’attend, son rejet, sa condamnation, sa mort, et aussi sa résurrection, Pierre s’indigne, il se dresse, il réprimande Jésus, comme s’il était chargé de défendre Dieu face à cette perspective d’échec et de défaite.

Pierre n’est pas seulement le premier témoin de la Vérité du Christ. Il est aussi notre représentant, quand nous repoussons le mystère du Christ au nom de notre idée de la puissance triomphante de Dieu.

Or ce que Jésus Christ nous promet, ce n’est pas d’être des vainqueurs, mais des lutteurs et de participer à sa propre lutte, non pas la lutte pour la vie, mais la lutte à l’intérieur de notre vie, pour que notre vie soit greffée sur la sienne et qu’elle participe au mystère de la Pâque.

Voilà ce que les martyrs découvrent sans s’y être préparés ! Car jamais Jacques-Morelle DUPAS ne s’est attendu à ce qui va le briser. Il est né à Ruffec, il a vécu son enfance à Civray, il a été ordonné prêtre en 1780, à 26 ans, il a été vicaire à Taizé-Aizie, à Chenon, à Tusson, puis à Ruffec. En 1791, il a prêté serment à la Constitution civile du clergé, mais avec des réserves. On le guette au tournant, il doit se cacher, il va être découvert, arrêté, emprisonné, jugé et condamné à Poitiers, au début de l’année 1794. Peu importent les limites des diocèses ! C’est à Ruffec que l’on se souvient de lui !

Et le voilà déporté en avril 1794, condamné à des conditions de vie terrifiantes, inhumaines : saleté, promiscuité, violence. Tout est fait pour que ces prêtres meurent, et il meurt très vite, fin juin 1794, à 39 ans, sur les Deux Associés, et il sera enterré à l’île d’Aix, et oublié longuement.

Oublié, ou plutôt recouvert par le silence. Le silence grâce auquel on ne veut pas nommer le mal, même si l’on se souvient. Et puis ces hommes prêtres avaient eu l’audace de s’engager, s’ils survivaient à ce drame, de ne jamais révéler leurs dénonciateurs. Et certains l’ont fait.

Mais c’est comme après la guerre de 1940 et les camps de la mort, et toute l’horreur des chambres à gaz. Les survivants se taisaient, car l’horreur coupe la parole. Le mal écrase tout : il n’abolit pas la mémoire, mais il empêche de parler. Car la parole risquerait de détruire la vie.

Mais dans l’histoire des martyrs, de ces prêtres oubliés sur l’île Madame, se trouve une révélation précieuse : le Christ reste caché dans les corps meurtris de ces hommes. La cruauté de leurs ennemis, la bassesse de leurs gardiens, sur le bateau où ils ont été entassés, a réveillé en eux ce qu’ils vivaient déjà : leur relation personnelle à ce mystère de la Croix, qui ouvre à la prière et même au pardon.

Jacques-Morelle DUPAS, prêtre de Ruffec, a été béatifié en 1995 par le pape Jean-Paul II, saint Jean-Paul II, qui avait connu l’horreur nazie et qui connaissait le camp d’Auschwitz.

Vingt ans après, nous voilà réunis à Ruffec à cause de lui, non pas pour dénoncer des coupables, mais pour reconnaître que l’appel de Jésus Christ est toujours d’actualité : « Celui qui veut marcher à ma suite, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive ! Et qu’il accepte d’être dépouillé de sa vie pour recevoir celle qui s’ouvre à la Résurrection ! »

Seigneur, nous te prions par l’intercession du bienheureux Jacques-Morelle DUPAS ! Il a prié dans cette église, il y a réuni le peuple de Dieu, il y a célébré l’Eucharistie, il y a fait entendre ta Parole, et cette parole que nous entendons aujourd’hui : « Tu es le Christ, crucifié et ressuscité ! » Cette parole en lui a pris chair à travers sa propre mort et il en est pour toujours un vivant témoin.

Qu’il nous donne de former un peuple de baptisés, de croyants, de témoins qui ne doutent pas de ta promesse et qui attestent ta victoire sur le mal, ta force de résurrection !

+ Claude DAGENS, évêque d'Angoulême

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