Le blog de Mgr Claude DAGENS

Le dernier roman de Patrick Modiano

20 Octobre 2014 Publié dans #Observatoire Foi et Culture

Le dernier roman de Patrick Modiano

"UN RAI DE LUMIÈRE SOUS UNE PORTE CLOSE". Un roman de Patrick Modiano. Fiche pour l'Observatoire Foi et Culture, n.26 / 2014

« Un rai de lumière que l’on distingue à peine sous une porte close et qui vous signale la présence de quelqu’un. Mais il n’avait pas envie d’ouvrir la porte pour découvrir qui était dans la chambre ou plutôt dans le placard… » (Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier, Paris, 2014, p.119).

Ces quelques lignes, extraites du dernier roman de Patrick Modiano, Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier, évoquent l’essentiel de ce qu’il y a d’original et même d’unique chez cet écrivain timide qui vient d’obtenir le prix Nobel de littérature. Ce « rai de lumière sous une porte close », c’est tout le charme des histoires que ne cesse pas de raconter cet homme dont la mémoire et l’imagination plongent leurs racines dans des événements confus liés « aux années de l’Occupation », comme l’on dit chez nous.

Il y a chez Modiano un perpétuel désir non pas de comprendre, mais de revivre ces événements, où se mélangent des déménagements nombreux, à Paris, entre le quartier de Charonne et les environs de la place Blanche, en passant par le boulevard Haussmann, et par une grande maison à Saint-Leu-la-Forêt. Il lui faut revivre ces événements, mais jamais totalement, comme si sa mémoire refusait de faire la clarté sur ces personnages qui se cachent, sans doute son père et sa mère, sur ces trafics plus ou moins louches auxquels ils sont mêlés, avec la double protection de la police française et de la Gestapo. C’est ce mélange qui crée comme un enchantement trouble : qui est cet enfant que l’on emmène en Italie ? Quelle est cette femme qui se charge de lui faire franchir la frontière ? Pourquoi ne veut-on pas lui expliquer ce qui lui arrive ?

Modiano n’est pas un auteur de romans policiers. C’est une sorte de poète qui aime les clairs-obscurs, qui redoute la lumière trop vive, et qui trouve dans ces enchevêtrements humains ce qui le pousse à écrire, sans faire de l’écriture une délivrance.

Il y a quelque chose d’unique dans cet art subtil de rester au bord du réel, ou plutôt de mêler le réel obscur et la contemplation de ces hommes et de ces femmes qui se fraient un chemin à travers ces obscurités.

Je me souviens du sujet de la grande dissertation que j’ai eu à rédiger en passant l’agrégation de lettres en 1963. Nous avions Marivaux au programme de littérature française, et il s’agissait de commenter ce jugement d’un critique littéraire : « Peut-on dire que Marivaux a toujours écrit la même pièce, inspirée par les jeux de l’amour et du hasard ? » On pourrait porter le même jugement sur les romans de Mauriac, qui n’en finit pas de faire le récit des mensonges de la vie familiale et des passions coupables, de Thérèse Desqueyroux au Nœud de vipères et à Un adolescent d’autrefois.

Modiano lui aussi puise à la même source, intensément présente dans sa mémoire. De quelques faits plus ou moins troubles il tire un univers indéfiniment recomposé, dont les lignes ne s’estompent jamais : « On apprend, souvent trop tard pour lui en parler, un épisode de sa vie qu’un proche vous a caché. Est-ce qu’il vous l’a vraiment caché ? Il l’a oublié, ou plutôt, avec le temps, il n’y pense plus. Ou, tout simplement, il ne trouve pas les mots. » (ibid., p.97-98)

Mais ceux qui écrivent des livres cherchent et trouvent des mots. Et ces mots, ils ne se contentent pas de les écrire, ils les envoient à des membres de leur famille, à des amis encore vivants, à des témoins :

« Écrire un livre, c’était aussi, pour lui, lancer des appels de phare ou des signaux de morse à l’intention de certaines personnes dont il ignorait ce qu’elles étaient devenues. Il suffisait de semer leurs noms au hasard des pages et d’attendre qu’elles donnent enfin de leurs nouvelles. » (ibid., p.70)

Nous savons tous cela, n’est-ce pas ? Nous attendons toujours des nouvelles, même des années après…

Partager cet article

Repost0

Commenter cet article