Le blog de Mgr Claude DAGENS

Remise de la croix pectorale à Mgr Dagens. P. Longeat

15 Mai 2009 , Rédigé par mgrclaudedagens.over-blog.com Publié dans #Académie Française

Intervention du P. Jean-Pierre Longeat, Père Abbé de l'abbaye de Ligugé, lors de la remise de la croix pectorale à Mgr Dagens, en vue de sa réception à l'Académie française. 11 mai 2009, à Angoulême

 

 

Cher Père, chers amis,

 

Permettez-moi d’éviter ce soir tout préambule et, après vous avoir remercié, Père,  pour la confiance dont vous me gratifiez, de vous partager simplement tout ce qui me tient le plus à cœur en une telle circonstance.

 

J’ai rencontré Claude Dagens pour la première fois, il y a plus de trente ans, lors des sessions qu’il donnait au Séminaire Interdiocésain de Poitiers dont je suivais les cours. Pour le jeune moine que j’étais alors, ces ouvertures patristiques étaient un pur délice, une synthèse totalement habitée entre le difficile accès à une antiquité chrétienne foisonnante et l’urgence actuelle d’une réponse de foi qui ne pouvait souffrir aucun retard. Ce fut un privilège d’entrer avec tant de grâce dans ce lieu de mémoire et d’engagement où la connivence d’un lien fraternel à la suite du Christ occupe toujours la première place. Et je n’oublie pas les nombreuses déclinaisons de ces premières assises d’une telle relation.  Tout d’abord, la reconnaissance constante par Claude Dagens du charisme monastique et de son rôle important dans l’histoire et la vie de l’Eglise ; ses conférences et la retraite qu’il donna dans notre monastère de Ligugé, ses amitiés avec des communautés de moines et de moniales comme celle de Maumont dans ce diocèse ou celle de Belloc et d’Urt furent et sont toujours un ciment pour la promotion de multiples projets, au gré de la volonté de Dieu. Sa présence surtout à la bénédiction que j’ai reçue comme abbé de ma communauté, et l’homélie retentissante qu’il y prononça comme évêque auxiliaire de Poitiers sous l’inspiration de saint Hilaire, tant aimé de notre grand fondateur Martin, fut un moment déterminant pour la disponibilité que mon cœur devait présenter à l’Esprit Saint tout au long de mon ministère. La collaboration dans le diocèse de Poitiers fut un véritable bonheur où les grandes orientations pastorales du futur auteur de la Lettre aux catholiques de France étaient déjà présentes et agissantes. Un tel lien de foi n’a jamais cessé et c’est à ce titre que j’ai tenu à répondre exceptionnellement mais de grand cœur à l’invitation de votre évêque en cette réunion d’Eglise, à la veille de sa réception à l’Académie Française. Il s’agit bien là pour nous tous d’un engagement d’Eglise, un partage  au plus profond de la fraternité en Christ qu’il faut absolument souligner au moment où le processus de reconnaissance sociale promeut votre évêque au rang de ce que les coutumes de notre société nomment encore « les immortels ».

 

Cher Père, vous avez voulu que cette soirée soit placée sous le signe d’un ouvrage du grand moine que fut Dom Jean Leclercq, « L’amour des lettres et le désir de Dieu ». Ce titre illustre bien ce qui vous importe et il serait presque à lui seul, un commentaire suffisant du signe que vous allez recevoir ce soir et porter au sein de l’Académie : un livre surmonté d’une croix, les deux mêlés d’un coeur.

 

Ce livre ouvert est comme celui de l’Apocalypse de saint Jean dont les sceaux ont été brisés et qui donne le secret de l’Agneau, alpha et oméga. Mais tout autant que celui de la Parole de Dieu, ce livre représente aussi tous les autres  qui vous sont passés ardemment entre les mains. Vous ne cessez de faire lectio en toutes matières dans l’amour des lettres et le désir de Dieu. Et vous ne vous contenter pas de lire, il vous est impératif également d’écrire ce qui vous advient dans l’attention profonde à ce que suscite en vous le souffle de Dieu. Comment ne pas évoquer ici l’ouvrage dans lequel vous avez donné d’emblée ce que vous portiez de plus cher, votre thèse sur le très grand évêque de Rome, Grégoire. Ce pape du VIe siècle, était au défi, comme nous-mêmes aujourd’hui, de contribuer à l’émergence d’une culture nouvelle ou l’interprétation de la Parole de Dieu jouerait un rôle essentiel. Je ne résiste pas à redonner l’ultime conclusion que vous tirez dans cet ouvrage : « Il est certain que le monde romain et italien de la fin du VIe siècle est dominé par la peur ou l’incertitude et résiste à toute entreprise vraiment créatrice. Les forces de décadence politique et culturelle y sont irrésistibles. Grégoire a donc bien mérité son nom de veilleur, lui qui n’a pas cessé de regarder au loin, de scruter l’avenir. Il ressemble un peu à ces prophètes de l’Ancien Testament qu’il aimait tant commenter, Ezéchiel ou Jérémie, des hommes effrayés comme lui par la décadence de leur peuple, jamais las de le ramener sur le chemin de la foi et de l’espérance, mais vaincus, à vue humaine par des pesanteurs historiques plus fortes qu’eux. Tel est le drame de Grégoire. Mais ce caractère tragique de l’époque où il a exercé son ministère et la pauvreté des moyens dont il disposait ne pouvaient que grandir encore sa stature historique et son prestige spirituel. C’est sans doute pour ces raisons que la postérité lui a rendu un hommage si fervent : n’était-il pas plus conforme à l’Evangile de préparer dans l’impuissance apparente l’avènement d’une civilisation qui devait se dire chrétienne ? »

Voilà bien ce qui n’a jamais cessé d’habiter votre condition de disciple. Dès 1971, avant tous les auteurs qui aujourd’hui abordent sans scrupule ce sujet difficile, vous avez proposé un éloge de notre faiblesse pour décrire la condition chrétienne dans un monde incertain. Et vous donniez en exergue cette citation de saint Paul « Le Christ a été crucifié en raison de sa faiblesse, mais il est vivant par la puissance de Dieu. Et nous aussi : nous sommes faibles en lui, bien sûr, mais nous serons vivants avec lui, par la puissance de Dieu. » (2 Cor. 13, 4). Votre Méditation récente sur l’Eglise catholique en France : libre et présente, reflète tout au long ce rappel de Jésus à ses disciples que le serviteur n’est pas plus grand que son maître. Le disciple accomplit  les œuvres de Dieu dans la faiblesse avec cette part de souffrance qui peut venir de l’intérieur même du corps ecclésial chaque fois qu’il ne veut plus se référer à son unique espérance, Jésus et Jésus crucifié. Vous nous avez dit dans un livre récent également quels étaient sur ce chemin, les témoins qui vous permettaient de poursuivre la route : Simon-Pierre, François d’Assise ou Thérèse de Lisieux, tous trois démunis à l’extrême.

Mais je veux souligner aussi qu’aucun de vos écrits, si passionnés soient-ils en tous les sens du terme, ne cèdent au défaitisme, à la tristesse ou au découragement. Vous regardez avec une lucidité aimante ce qui advient en nos sociétés et en notre Eglise et vous tentez de dire avec insistance ce qui vous semble être une attente, une ouverture, un dialogue possible ou un lieu de débat pour que la promesse du Christ soit en mesure de rejoindre le plus profond de l’expérience humaine.

La lettre aux catholiques de France allait bien dans ce sens. Dans ce texte qui a reçu en son temps le Prix de l’Académie Française, vous-même et vos confrères évêques avez souhaité renouveler et élargir le champ du dialogue en cette période où nos sociétés traversées par tant d’interrogations,  apportent au-delà des clivages historiques et des difficultés de chacune des sphères qui les constituent, des tentatives de réponse où la voix de l’Evangile peut sans complexe aucun se faire entendre avec force. Et  pour cela, vous invitez à un approfondissement de la foi qui se décline tout autant sur le registre de l’engagement social que sur celui de l’expérience spirituelle. A tel point que dans cette même Lettre vous proposez de voir dans la célébration du salut, la leitourgia, comme une tâche prioritaire, qui ouvre sur le service des hommes, la diakonia et sur l’annonce de la foi, la marturia. Et c’est bien cela que vous tentez de mettre en œuvre au jour le jour dans ce diocèse d’Angoulême avec lequel vous faîtes corps depuis 16 ans. Vous ponctuez votre action de lettres pastorales qui alimentent précieusement le trésor de votre Eglise d’Angoulême, de notre Eglise en France et encore bien au-delà.

En devenant  membre de l’Académie Française, votre parole s’inscrit dorénavant au plus haut sommet de ce dialogue de culture, d’engagement et de spiritualité que vous souhaitez poursuivre comme le commentaire vivant du livre ouvert de l’Agneau.

 

Ce livre ouvert est donc celui de l’Agneau, un Agneau immolé sur le bois d’une croix. Vous avez voulu en effet recevoir ce soir une croix placée au milieu de ce livre. Il ne servirait à rien de parler ou d’écrire si ce n’était pour y donner sa vie. La Parole livrée au monde ne retient rien pour elle ; son langage est celui de l’amour sans limite. Elle établit entre les êtres le Verbe divin qui donne sens à toutes choses. Vous vous êtes expliqué plus d’une fois sur le mystère de ce don total. Vous avez même tenu à produire un chapitre que, peut-être certains ont eu du mal à comprendre : « Souffrir pour l’Eglise et par l’Eglise ». Oui, la passion de la croix ne nous est pas toujours imposée de l’extérieur, elle est aussi une expérience qui vient de l’intérieur même du corps ecclésial comme une blessure de foi telle que le Christ la reçut de ceux qui pourtant avaient promis de le suivre jusqu’au bout. C’est là le paradoxe de l’aventure spirituelle que vous proposez de reconnaître comme un lieu vital. A cet égard, le chapitre 7 de votre méditation sur l’Eglise est à lire et relire avec infiniment d’attention. L’Esprit Saint nous pousse au désert pour y être tentés afin de mieux briser les idoles de cette vie.  La seule réponse possible au mal qui, mystérieusement nous entrave est celle de l’abandon jusqu’à la dépose de notre propre existence entre les mains de celui qui peut tout.

S’il est une mission épiscopale, c’est bien celle de marcher résolument avec le peuple de Dieu vers les sources d’eaux vives à travers les ravins de la mort. Au-delà de toute peur, de toute angoisse de la perte de soi, il y a la joie de la table dressée devant même ceux qui veulent y faire obstacle, le débordement d’une coupe fraternelle et le parfum répandu de l’huile d’allégresse. C’est ainsi que, cheminant en ce monde sous le signe du bâton crucifère, le pasteur conduit aux verts pâturages de la bienheureuse résurrection où tous ensemble, réunis dans la paix eucharistique, rayonnent la joie promise du royaume qui vient. Telle est l’Eglise au milieu des hommes, signe du salut qui apparaît de manière si déroutante au milieu des illusions de ce monde.

Dans ce passage, dans cette pâque, résonne la prière du bienheureux Charles : « Mon Père, je m'abandonne à Toi... », nous connaissons trop bien la suite, je n’en dirai pas plus.

Où que vous soyez, cher Père, ici dans ce diocèse, à Rome en dialogue avec le successeur de Pierre et sa curie, dans les diocèses de France que vous sillonnez souvent, en débat avec les confessions chrétiennes, les  autres religions, avec les instances sociales du monde de l’Education, de la culture, avec les collectivités, les associations, ou maintenant, au cœur des séances de l’Académie, votre parole est attendue comme une traduction de l’expérience fondatrice d’une humanité réconciliée dans le mystère vivant de la Pâque du Christ. Que votre diocèse ne se désole  pas de vous voir si sollicité, qu’il vous porte au contraire dans cette mission si haute et qu’il la vive lui-même, au jour le jour, comme la seule pierre fondatrice de son avenir en Christ.

 

Je mesure bien la prétention qu’il y a à parler d’une telle manière à un évêque. Mais l’amitié m’en donne la liberté. Et le cœur qui tient ensemble le livre ouvert et la croix du Christ est là pour attester combien cet élan du désir profond de l’amour qui nous presse reste le moteur essentiel de tout ce qui vous meut. Tous ici le savent bien, vous réagissez constamment dans cet élan passionné. Il y a là comme une intensité sans cesse active dans vos actes et vos paroles qui ne peut laisser sans réaction. Ne nous méprenons pas cependant sur cette source : le cœur profond qui vous habite voudrait être celui que nous avons tous en commun dans le Corps du Christ : le cœur jaillissant de Dieu duquel coulent des fleuves d’eaux vives. C’est en ce cœur qu’il y a lieu de prétendre à la rencontre avec autrui quel qu’il soit : homme entre les hommes, soucieux de son origine et de sa destinée, homme et femme préoccupés de l’avenir de leur foyer, enfants abandonnés, artistes en question, croyant qui se cherche, prêtres qui peinent sur la route ou qui s’enflamment heureusement pour tant de justes causes ; et tant et tant d’autres qui, en ce cœur, peuvent se donner le rendez-vous de l’unité et de la paix.

On sait bien combien cette source est souvent menacée et pourtant, jamais elle ne cesse de couler ; tout le monde en a soif même quand il s’en tient mystérieusement à distance. Et le révélateur de sens que vous êtes souhaite toujours en libérer l’accès.

Sans cette source inscrite au plus profond de soi, ni le livre ni la croix n’auraient vraiment de raison d’être. C’est pourquoi, le retour en ce lieu de jaillissement intime et commun permet le déploiement de manifestations qui recherchées pour elles-mêmes, n’auraient aucun impact sur les grandes questions de notre humanité.

 

Pour terminer cette évocation du signe que vous souhaitez manifester au monde par cette croix sur fond de livre ouvert dans les entremêlements du cœur, je souhaite redire simplement les mots par lesquels Thérèse de Lisieux définissait la vocation chrétienne ; je le ferai en pensant à tous ceux que vous aimez, vos parents si chers, vos amis nombreux, vos collaborateurs, prêtres, diacres, laïcs en responsabilité, catéchumènes et nouveaux baptisés, jeunes confirmés dont la démarche vous touche si profondément et tout le peuple de Dieu de ce diocèse d’Angoulême,

« La charité me donna la clé de ma vocation. Je compris que si l’Eglise avait un Corps composé de différents membres, le plus nécessaire, le plus noble de tous ne lui manquait pas, je compris que l’Eglise avait un cœur et que ce cœur était brûlant d’amour… Je compris que l’Amour renfermait toutes les vocations, que l’amour était tout, qu’il embrassait tous les temps et tous les lieux, en un mot qu’il est éternel !... Alors dans l’excès de ma joie délirante, je me suis écriée : Ô Jésus, mon Amour,  ma vocation, enfin, je l’ai trouvée, ma vocation, c’est l’Amour ! Oui, j’ai trouvé ma place dans l’Eglise et cette place, ô mon Dieu, c’est vous qui me l’avez donnée… dans le cœur de l’Eglise, ma mère, je serai l’Amour –ainsi je serai tout… et mon rêve sera réalisé. »

On sait ce qui lui en a couté dans la mystérieuse ténèbre de son chemin de foi. Mais le fruit de sa vie fut infini et l’on ne cesse aujourd’hui encore d’en goûter l’extrême saveur.

Ce à quoi prétend Sainte Thérèse, tout chrétien devrait y aspirer. Vous nous avez montré qu’il y a là comme une clé du ministère et de la mission. Selon la parole de Madeleine Delbrêl : « L’Evangile n’est annoncé vraiment que si l’évangélisation reproduit entre le chrétien et les autres le cœur à cœur du chrétien avec le Christ de l’Evangile. »

 

Merci, cher Père, de marcher avec nous sur les chemins de ce monde. Au-delà des  tempêtes, des bouleversements, des incompréhensions et de tout autre obstacle nous voulons répondre avec vous à l’appel constant du Christ : « Avance en eau profonde ». Comme vous le dîtes vous-mêmes en écho à la belle perspective de l’amour des lettres et du désir de Dieu : « Heureux sommes-nous si nous avons simplement déblayé le chemin qui conduit à la source et aussi éveillé ou réveillé la soif qui permette de boire quand l’heure sera venue. »

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