Le blog de Mgr Claude DAGENS

Nous croyons à l'éducation. "Famille et Éducation", avril 2007

14 Avril 2007 , Rédigé par mgrclaudedagens.over-blog.com Publié dans #Articles

 
 
NOUS CROYONS À L’ÉDUCATION
 
Famille et Education : Pourquoi tous ces intervenants aujourd’hui sur ce sujet ?
 
Monseigneur Claude Dagens : Ce groupe de travail existe depuis plusieurs années, sous le vocable « Foi chrétienne, Eglise catholique et Société ». Nos échanges portent sur l’inscription de la foi chrétienne dans la société française à travers la mission de l’Église. Nos opinions sont diverses, mais nous avons la conviction commune que l’engagement éducatif doit être reconnu et revalorisé pour lui-même. Nous avons réuni nos expériences sur ce terrain. L’engagement éducatif concerne les jeunes générations, l’éveil de leur esprit à des connaissances nouvelles et leur intégration dans la société. Cet engagement demande donc de la patience. Sa valeur est à la fois sociale et spirituelle.
 
FE : Devant cette crise de transmission des valeurs, comment un chrétien réagit-il ?
 
CD : Plutôt que de crise, je préfère parler de défis à relever. C’est comme en montagne : un défi a deux versants, celui des difficultés et celui des chances et des possibilités nouvelles. Nous sommes aujourd’hui sur la ligne de crête entre les deux, mais je préfère m’attacher aux conditions nouvelles pour que l’Église s’engage davantage dans le travail éducatif. Dans mon expérience d’évêque, par exemple, je rencontre pour le sacrement de confirmation des jeunes de toutes conditions de 14 à 18 ans. Ils m’écrivent des lettres personnelles pour lesquelles je leur ai suggéré un schéma de trois questions simples : « Qu’aimez-vous dans la vie, qu’est-ce qui vous préoccupe et quelles sont vos raisons d’être chrétiens et de demander ce sacrement ? » Leurs questions sont des questions de vie et de mort, qui touchent à la grammaire élémentaire de l’existence humaine, des questions radicales d’humanité commune : pourquoi vivre, pourquoi ne pas se donner la mort, pourquoi aimer la vie même quand elle est difficile, comment distinguer le bien du mal, à qui faire confiance quand on désire aimer et être aimé, où trouver des points d’appui solides et aussi comment prier et aller à la rencontre de Dieu ? Nous sommes là sur un terrain d’éducation où nous devons, d’une part, instaurer une relation de confiance et d’autre part répondre à ces jeunes à partir de ces questions d’humanité commune. Quand Jésus rencontre ses premiers disciples près du Jourdain, il ne leur dit pas « Qui êtes-vous ? » il leur demande « Que cherchez-vous ? » L’éducation porte en elle cette question « Que cherchez-vous? Que cherchons-nous vraiment ? »
 
FE : Vous dites que l’Evangile est source de vie et de construction de soi. Comment enseigner cette construction dans la durée face à un monde d¹immédiateté et de vitesse ?
 
CD : Dans le travail d’éducation et d’initiation chrétienne, à quoi devons-nous résister ? Je pense que nous devons prendre nos distances vis à vis d’une certaine accélération du temps, ou plutôt cesser de croire que le temps n’est plus porteur de promesses, que l’avenir ne serait que sous forme d’inquiétude, à cause des fragilités personnelles, de la société, du chômage etc.. Nous devons résister à l’air du temps quand il est porteur de résignation, de peur et de désenchantement. Parce que dans la foi chrétienne, le pari radical de Jésus à l’égard de chaque être humain est celui de la confiance. Tout être humain est supérieur à ses apparences, ou à ses résultats immédiats, visibles. L’enjeu éducatif dans l’enseignement catholique en particulier est d’admettre que la logique de l’entreprise est présente, mais que cette logique des résultats ne doit pas être la seule. Le respect, la reconnaissance propre des personnes avec leurs talents et leurs blessures doit être prioritaire. Autrement dit on fait appel à une vision globale de l’éducation, reliée intimement au regard du Christ sur nous tous. Et cette éducation du regard et de la patience concerne tous les enseignants, qu’ils soient chrétiens ou non, mais en particulier les catholiques.
 
FE : Vous écrivez aussi que le Christianisme est spécialement « porteur d’une capacité éducative ». En quoi ?
 
CD : D’un point de vue historique d’abord. Les premières communautés chrétiennes ont créé des institutions éducatives, à Alexandrie, à Rome et ailleurs : des écoles de la Foi. Parce que la foi chrétienne se transmet par une initiation, une éducation, et la lecture d¹une parole, celle de Dieu. Notre pape Benoît XVI a souvent souligné ceci : le christianisme ne se situe pas d’abord sur le terrain proprement religieux, il ne cherche pas à concurrencer les religions à mystères. Il se situe sur le terrain de la connaissance. Devenir chrétien c’est avoir la chance de connaître Dieu tel qu’il se fait connaître lui-même, à travers sa création, sa loi, sa parole et son fils Jésus. Et puis, l’Évangile lui-même est essentiellement nourri de rencontres et de dialogues. Nous sommes bien sur un terrain de connaissance et d’éducation, éducation voulant dire que l’on ne cesse pas de progresser et de découvrir du nouveau, du côté du monde, des autres, de soi-même et du côté de Dieu. Nous tous éducateurs, nous sommes des médiateurs convaincus de cette progression dans le travail d’éducation.
 
FE : Y a-t-il un « style » chrétien d’enseignement ? Comment un professeur peut-il faire passer ses convictions chrétiennes en respectant la République laïque ?
 
CD : D’abord et c’est évident, il n’y a pas de mathématiques ou de physique chrétiennes. Il faut respecter la logique des sciences et des disciplines enseignées. Il faut que l’école catholique soit d’abord une école où l’on transmet des savoirs et des connaissances, où l’on intègre à la société et à un héritage. Style chrétien ? Oui, au sens fort, style lié à la personne même de Jésus, ce qui signifie s’engager dans son travail, dans ses relations et livrer ses convictions. Nous ne devons pas nous résigner dans l’enseignement catholique au cloisonnement entre le privé et le public, entre les convictions religieuses qui seraient du domaine privé et le domaine scolaire qui serait public. La laïcité ne doit pas être restrictive, mais permettre à chacun de s’engager avec sa conscience, d’une manière raisonnable, en faisant appel à l’intelligence et à la réflexion. Que l’on ne puisse pas dire : « La religion c’est de l¹irrationnel ! »
Nous avons des raisons de croire en Dieu. Et je rêve que vienne le jour où des enseignants, de l’enseignement public et de l’enseignement privé, confronteront leurs convictions et leurs expériences sur trois domaines aujourd’hui en difficulté, l’éducation civique, l’éducation morale et l’éducation religieuse..
 
 
 
FE : L’enseignement catholique aujourd’hui peut-il aider le système éducatif, quels sont ses points forts ?
 
CD : J’ai confiance, car l’Enseignement catholique est effectivement associé à l’éducation nationale et il est aujourd’hui reconnu dans la société civile, grâce à la Loi Debré. Mais à une condition, c’est qu’il relève le défi de l’engagement éducatif, en étant encore plus largement reconnu dans l’Eglise catholique ! Il reste des efforts considérables à faire dans ce domaine. Il faut donner toute leur importance aux relais institutionnels qui existent entre les diocèses, les paroisses et les établissements de l’enseignement catholique. Un grand travail de reconnaissance mutuelle est nécessaire, sur le terrain de l’engagement éducatif. Il serait normal que des acteurs de l’enseignement catholique, des chefs d’établissements aux enseignants, puissent être associés à la mission de l’Église au titre de cet engagement éducatif. Et que les communautés chrétiennes se reconnaissent elles-mêmes comme des communautés éducatives !
 
FE : Vous posez la question : « que voulons-nous vraiment pour notre société ? ». Face à l’individualisme et au désenchantement, qu’offre le christianisme aux jeunes ?
 
CD : Nous savons souvent donner des réponses négatives. Nous ne voulons ni la violence, ni le mensonge, ni la corruption, ni les précarités aggravées par le chômage. Mais que voulons-nous vraiment, quel prix sommes-nous prêts à payer pour lutter contre une idéologie rampante qui déshumanise l’être humain en le traitant comme un pion ou un objet ? Nous manquons de valeurs communes. Nous sommes appelés à affirmer et à défendre la dignité de tout être humain, au-delà des apparences. Je pense à l’Abbé Pierre, et à son combat, mais aussi à Charles de Foucauld qui disait aux Touaregs du désert : « Je n’ai qu’une chose à pratiquer, l’Évangile de la bonté » … L’éducation chrétienne, à sa manière, se réfère aussi à cet Évangile de la bonté. Le croyons-nous assez ? Croyons-nous assez qu’en étant chrétiens dans notre société laïque, nous sommes au service de tous, et spécialement des jeunes, et que l’enseignement catholique participe, à sa manière spécifique, à la pratique de ce « civisme chrétien » ?
 
Propos recueillis par Brigitte CANUEL
 
 
Contributeurs :
            André BLANDIN
            François BOËDEC
            Guy COQ
            Hugues DERYCKE
            Roger FAUROUX
            Henri-Jérôme GAGEY
            Marguerite LÉNA
            Yves QUÉRÉ
            Gérard TESTARD
            et aussi des enseignants et des responsables de l’enseignement public et de l’enseignement catholique.

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