Le blog de Mgr Claude DAGENS

Parole à notre évêque. Émission diffusée les 7 et 8 septembre 2013, sur Radio Accords

9 Septembre 2013 Publié dans #Parole à notre évêque

Denis Charbonnier : C’est le temps de la reprise pour tous en général, pour nous en particulier, avec ce rendez-vous de parole et de commentaire sur les événements qui animent le diocèse et le monde. Dans notre département de la Charente, la violence a surgi, ici, à deux pas, dans le quartier de Basseau – La Grande Garenne, la violence aussi là-bas, en Syrie, ce sera essentiellement ce dont nous allons parler, mais après que vous nous ayez donné ce petit mot de rentrée.

 

Mgr Dagens : Nous enregistrons en ce vendredi 6 septembre. C’est le temps de la reprise. C’est la joie d’être à nouveau, après le temps des vacances, relié aux auditeurs et aux auditrices de cette émission et de savoir qu’un certain nombre de personnes sont là, chez elles, écoutent et comprennent. Pour moi, comme évêque, c’est une joie de pouvoir ici, librement, chaque semaine, faire face aux réalités du monde, d’une façon qui essaie d’allier le respect du réel et la foi chrétienne en Dieu. Comme souvent, les événements que nous évoquons sont des événements préoccupants, la foi chrétienne en Dieu nous oblige à faire face au réel mais en même temps, à penser, à croire que le mal n’a jamais le dernier mot, même si aujourd’hui même, je vais évoquer la réalité du mal, d’abord en Charente avec les événements de mort de la Grande Garenne et de Basseau, en juillet et août, et ensuite les événements de Syrie et ce que l’on peut faire pour la paix, au milieu de la violence en Syrie.

D’abord, partons de la Charente. Le réel, c’est la violence proche, survenue chez nous, depuis près de deux mois, à deux reprises. Je me souviens, quand j’ai accueilli le nouveau préfet au début du mois d’août, je lui ai brièvement : « Monsieur le Préfet, la Charente est un département calme, mais sous le calme apparent et même réel, il peut y avoir aussi des explosions de violence. » Je ne pensais pas que j’avais autant raison, puisque quelques jours auparavant, fin juillet, il y avait eu le meurtre d’un animateur du Centre social, qui était intervenu au cours d’une bagarre. Il avait voulu séparer les deux jeunes qui se battaient et l’un des jeunes est allé chercher un couteau et l’a poignardé. Et cet homme, animateur du Centre social, connu de beaucoup de gens de ces quartiers de Basseau et de la Grande Garenne, est mort presque aussitôt. Quand je suis allé participer, quelques jours plus tard, au repas de rupture du jeûne, où j’avais été invité par des amis musulmans, nous avons d’abord parlé de cet événement violent qui bouleversait tout le monde, d’autant que tous les acteurs étaient connus.

Quand je suis revenu de l’abbaye de Belloc, il y a quelques semaines, le 24 août, j’apprenais un nouveau meurtre d’un jeune dans ce quartier de Basseau – La Grande Garenne, par un de ses amis, qui était connu comme violent et qui venait, pour le week-end, de sortir de l’hôpital psychiatrique, et de revenir chez lui et qui, pour des raisons connues des enquêteurs, a tué cet homme.

 

 

D.C. : Il sortait d’hôpital psychiatrique.

 

Mgr D. : Oui, et il avait auparavant passé quelque temps en détention. Dans ces événements de mort, ces meurtres, on constate les mêmes éléments. D’abord, le choc, l’inattendu, l’imprévisible, la violence qui explose et qui provoque une grande émotion collective, qui s’exprime par une marche blanche et une émotion collective où se mêlent la souffrance, l’indignation, la dénonciation du coupable, pas seulement des coupables mais de la société, des responsables, et un état général d’agitation et de peur devant l’avenir.

Je suis allé à la Grande Garenne, je n’y vais pas assez souvent mais j’y étais allé pour être présent à la prière des musulmans, le 21 juillet. J’étais dans leur salle de prière, je n’ai pas prié avec eux, je me suis tenu près d’eux et j’ai regardé leurs gestes de prière. Il y avait uniquement des hommes, de toutes générations, des enfants, des adultes, des gens âgés et j’ai été là comme un témoin de leur prière. Puis, il y a eu le repas de rupture du jeûne. L’autre jour, au lendemain de mon retour de Belloc, je suis allé à la Grande Garenne et j’ai parcouru tous ces territoires, en constatant ceci, sur lequel j’ai fait une petite méditation qui paraît dans le prochain numéro d’Église d’Angoulême. Ce que j’ai vu, en parcourant ces lieux, c’est beau. Il y a des espaces verts, larges. Il y a des arbres. Il n’y a pas énormément de barres d’immeubles sauvages. Ce qui m’a frappé, c’est le vide ! Il y avait quelques personnes devant le centre commercial, quelques jeunes Africains et Maghrébins qui déambulaient et qui était presque gênés d’être présents au grand air, quelques jeunes filles qui bavardaient entre elles sur les marches d’un immeuble, un HLM. Mais c’était le vide, l’absence de présence humaine. Cela m’a beaucoup frappé. On devine que derrière le vide ou à l’intérieur du vide, il y a la solitude, des gens qui s’enferment chez eux, qui ont peur de sortir, qui restent chez eux devant la télévision ou d’autres machines à images et qui ont peur de sortir, de se parler, de se rencontrer. Que faire ? J’en ai parlé à quelques responsables, ces derniers jours, des responsables de la société civile et même de l’État. Que faire pour habiter ces quartiers, pour ne pas se résigner à ce qu’ils se considèrent comme séparés, mis à part, marginalisés et constitués de populations qui seraient elles-mêmes marginalisées ? Alors que le paysage est beau. Ce sont des quartiers que l’on dit difficiles, mais les quartiers difficiles sont aussi des quartiers où des gens habitent, vivent et connaissent des moments de bonheur et des possibilités de rencontres et de dialogues. Je n’oublie pas nos amis musulmans, leur présence à la mosquée de Basseau, l’ancienne école, où j’étais fin juillet. J’ajoute d’ailleurs que lorsque j’ai appris, dès mon retour, que la salle de prière de Cognac, la mosquée de Cognac, avait été vandalisée, j’ai réagi aussitôt. J’ai appelé le responsable de nos amis musulmans, Kader Bouazza. Je lui ai dit mon amitié, ma confiance, et j’ai publié un communiqué pour dire que ces graffitis ou ces inscriptions sont abominables, inadmissibles. Pourquoi ? Parce qu’elles expriment des réactions de haine et de rejet qui sont intolérables et si jamais des catholiques étaient mêlés à ces choses-là, ce serait très grave mais j’espère que ce n’est pas vrai. En tout cas, pour revenir sur le territoire d’Angoulême, puisque nous sommes dans la ville d’Angoulême, avec la Grande Garenne et Basseau, que viennent des initiatives concertées du côté des écoles, du collège, des lieux de prière, la mosquée, l’église Saint-Pierre-Aumaître, et aussi du côté de la musique. Au lieu du grand silence, et du silence qui enferme, il y a des silences qui font du bien, qui apaisent, et qu’il y ait éventuellement des groupes de parole ou des groupes de musique, et je rêve que l’enseignement catholique puisse être aussi présent dans ces quartiers difficiles. Il ne l’est pas assez. Le nouveau secrétaire général l’a dit récemment dans son interview à La Croix : que l’enseignement catholique prenne les moyens de se rendre présent dans ces quartiers difficiles, sans faire de concurrence à l’enseignement public. Parce qu’il s’agit d’y vivre humainement et de ne pas se résigner à la violence et à la peur, qui sont si tentantes.

 

 

D. C. : Ouvrons maintenant le chapitre de la Syrie, Monseigneur, qui est aussi préoccupant, même très préoccupant…

 

Mgr D. : Après quelques jours de réflexion, je penche pour une intervention armée. Je ne vais pas dans le sens d’une certaine opinion catholique, qui chante la ritournelle de la paix à tout prix, même si je suis pour la paix, et je présiderai, demain soir, samedi 7 septembre, la veillée de jeûne et de prière, pour la paix, selon le souhait du pape François. Cette veillée aura lieu ce samedi 7 septembre, à 21 heures, à l’église Saint-Martial. Je crois qu’il y a une réalité qui s’impose. D’un côté, une dictature : Bachar el-Assad que l’on n’aurait jamais dû inviter au défilé du 14 juillet sur les Champs-Élysées, il y a quelques années. Une dictature et de l’autre côté, des démocraties : la France, les États-Unis, les pays européens et d’autres pays, pas tellement au Moyen Orient.

J’insiste sur la différence radicale qui existe entre des dictatures et des démocraties. Les démocraties hésitent. En France, aux États-Unis, on hésite, on débat et c’est l’honneur des démocraties d’hésiter et de débattre. Dans les dictatures, on ne débat pas. Où est le parlement de Syrie ? On ne débat pas parce que les dictatures, par principe si je puis dire, n’ont pas de principes mais l’affirmation exclusive de la puissance qui détruit. Je ne comparerai pas trop vite Bachar el-Assad à Hitler mais j’oserai le comparer à Vladimir Poutine, qui n’est pas tout à fait un dictateur mais qui est un potentat, qui dispose d’une autorité qui réprime toute expression d’opinions différentes des siennes et à son pouvoir, et qui s’entend très bien avec le dictateur syrien et lui fournit les armes. D’où viennent les armes chimiques ? Très probablement, en partie, de Russie. Elles sont bien achetées quelque part, elles ne sont pas fabriquées sur place et de même, les autres armes dont se sert le régime pour massacrer son peuple, à Damas, à Alep et en d’autres lieux. Dans la dictature : pas de principes ! La démocratie a des principes. Dans les dictatures, pas de débats, pas de réflexions, pas d’opposition politique, pas d’informations libres ! Où sont les débats sur la situation actuelle de la Syrie, en Syrie ? L’opposition s’exprime à l’extérieur, éventuellement en Turquie. Et n’oublions pas qu’à vol d’oiseau, Damas est à moins de 200 kilomètres de Beyrouth, et à environ 300 km de Jérusalem.

Alors, que faire ? Prier et jeûner. Prier, c’est-à-dire se tourner vers le Christ, Prince de la Paix. « C’est lui qui est notre paix, lui qui des deux peuples n’en a fait qu’un, détruisant la barrière qui les séparait, supprimant en sa chair la haine … En sa personne il a tué la Haine.» (Paul, Lettre aux Éphésiens 2, 14-16). Nous prierons avec notre pape François. Nous le ferons à Saint-Martial pendant deux heures. Nous écouterons la Parole de Dieu, nous ferons silence et nous nous confierons au Christ et à l’Esprit Saint, à Saint-Martial, le lieu de « libération des captifs », avec la présence de la Fraternité trinitaire, nous prierons pour la paix en Syrie, au Moyen Orient et dans le monde.

On dit : il faut une solution politique. Cette solution politique passe par le dialogue politique, les négociations, mais avec qui peut-on dialoguer ? Peut-on dialoguer avec Bachar el-Assad, qui sait d’avance tout ce qu’il doit faire ? Je ne le sais pas. Je suis en train de lire une grande biographie allemande de Hitler, et je constate que les dictateurs sont des gens très intelligents, pas seulement des brutes, ils sont très cultivés. Bachar el-Assad est aussi très cultivé. Il a fait des études en Occident. Hitler était aussi très cultivé, très négociateur, très habile pour séduire et dominer. Avec qui dialoguer ? Comment dialoguer ? Je ne sais pas mais je pense que les démocraties françaises et américaines qui hésitent sont très honorables en hésitant. Nos présidents ne sont pas des chefs de clan, qui se moqueraient totalement de leurs adversaires et des risques qu’ils prennent en instrumentalisant la guerre civile dans leur propre camp. Tous les dictateurs instrumentalisent la violence et Bachar el-Assad aussi. Il me semble, après réflexion, qu’un coup de semonce, un avertissement armé, fort, limité, proportionné, est nécessaire. S’il est décidé par États-Unis et la France, je le comprends, en espérant que cet avertissement armé pourra ouvrir la voie à des discussions politiques, même si le régime n’est pas renversé, mais là on entre dans l’hypocrisie politique. Voilà ce que je voulais dire au risque d’étonner un certain nombre de personnes, mais j’invite d’autant plus fortement à la veillée de prière de ce samedi 7 septembre, à 21 h, à l’église Saint-Martial d’Angoulême.

J’insiste aussi sur la conférence du Professeur Gil qui aura lieu lundi soir. Elle a pour titre : « Autour de la fin de vie. Après le rapport Sicard, que penser ? Que faire ? » Cette conférence me semble très importante pour deux raisons : à cause du conférencier qui est le professeur Roger Gil, neurologue connu, au CHU de Poitiers, qui a été doyen de la Faculté de médecine de Poitiers. Il est actuellement responsable du centre de réflexion éthique du Centre hospitalier universitaire de Poitiers. Il a été également responsable de la pastorale de la santé du diocèse de Poitiers.. J’ai beaucoup de confiance et d’amitié pour lui. Il va nous dire que nous sommes bien au-delà de la loi Taubira et des débats excessifs qu’elle a provoqués pendant des mois. Nous sommes devant les questions concernant la fin de vie et aussi la bioéthique, et notamment l’élargissement éventuel des règles concernant la procréation médicalement assistée. Le professeur Gil va nous dire que le rapport Sicard est très nuancé, il ne recommande pas le suicide assisté. Mais le Comité national consultatif d’éthique, qui fait autorité, a souhaité sur ces questions l’ouverture d’un débat public, qui va avoir lieu pendant ce trimestre de fin 2013, en vue d’une révision de la loi, début 2014. Ce serait en vue d’un élargissement de la loi, pas seulement pour des cas médicaux d’infertilité, mais pour des couples de femmes, des couples d’hommes, avec donneurs extérieurs et le débat sur la fin de vie va aussi s’élargir, avec la question de l’euthanasie : faut-il favoriser la sédation terminale jusqu’à la mort ou la sédation terminale pour favoriser la mort ? On voit bien la différence. Et de même, faut-il parler du « suicide assisté » ou d’ « assistance médicale à la demande de suicide » ? Ces fines distinctions sont lourdes de conséquences pratiques pour des personnes, aussi bien pour le corps médical que des malades. À nous de réfléchir, en faisant appel à la raison.

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