Le blog de Mgr Claude DAGENS

LA MISSION DU SECOURS CATHOLIQUE : SIGNE DE LA CHARITE DU CHRIST DANS LA SOCIETE ACTUELLE. Rencontre diocésaine des équipes du Secours catholique, à l'abbaye de Maumont, le 14 mars 2011

21 Mars 2011 Publié dans #Méditations - récollections

 

 

I – UNE EXIGENCE PRIMORDIALE DE RENCONTRE

 

            Je vous remercie de m’avoir invité à animer cette journée de rencontre et de prière, qui a lieu à l’abbaye de Maumont, avec tout ce que représente pour nous cette communauté priante, travaillante et accueillante.

            Vous avez donné à cette journée le titre de « ressourcement spirituel ». Je vous propose donc une sorte de petit pèlerinage aux sources ou à la source de votre mission, autour d’une question primordiale :

« Quelle est la mission actuelle du Secours catholique dans la société française ? »

            Et je réponds sans hésiter : la mission du Secours catholique et de ses responsables, de ses membres, de ses bénévoles, de ses équipes, c’est d’être des signes de la charité du Christ dans la société actuelle !

 

            Avec une précision qui me semble importante : le but du Secours catholique, ce n’est pas le Secours catholique, même s’il faut sans cesse améliorer son organisation et manifester son identité, en pratiquant une collaboration réelle avec les pouvoirs publics.

            Mais comme le but de l’Église n’est pas l’Église, mais la rencontre et l’Alliance entre Dieu et les hommes, le but du Secours catholique est de participer, à sa manière, à cette rencontre et à cette Alliance entre Dieu et les hommes. Et cela exige une conversion permanente, pour ne pas rester enfermé dans des problèmes d’organisation, mais pour regarder vraiment et du côté des hommes et des femmes de notre société, et du côté du Dieu vivant qui vient à nous en Jésus Christ.

            C’est autour de cette expérience primordiale de rencontre que j’ai conçu mon intervention, qui aura donc comme deux volets :

-          D’un côté la présence réelle à l’intérieur de notre société

-          De l’autre, la relation également réelle au Christ et la pratique de la charité du Christ.

 

    

II – CE QUI MANQUE À NOTRE SOCIÉTÉ

 

            Je suis au milieu de vous comme un témoin appelé à vous encourager dans votre mission, c’est-à-dire dans la manière de comprendre la société dans laquelle nous vivons et dans laquelle nous sommes appelés à être chrétiens, catholiques.   

           

1.                  Une constatation banale : notre société est à la fois dure et fragile, avec tout ce que signifient ces deux mots.

Dureté dans les relations sociales et aussi familiales ou personnelles, comme s’il fallait s’affirmer contre les autres, en se défendant et parfois en attaquant.

Fragilité aussi, parce que l’avenir est incertain pour beaucoup, et que les handicaps s’accumulent parfois et deviennent comme une cascade, avec les situations de chômage, les ennuis de santé, les brisures familiales.

 

2.                  Et les enquêtes du Secours catholique sont à cet égard très révélatrices. Je crois que vous devriez davantage les faire connaître autour de vous. Je pense à ce que vous avez mis en relief l’année dernière, après avoir recueilli beaucoup de témoignages. Chez quelles personnes, ou quelles catégories de personnes, se font davantage sentir ces fragilités ?

-                     Des mères célibataires, généralement jeunes, et qui ont du mal à faire face à des situations de précarité liées au chômage et à des circonstances difficiles de leur vie personnelle.

-                     Des personnes seules qui se trouvent acculées à des phénomènes d’appauvrissement, d’endettement, sans avoir près d’elles des amis sur lesquels elles pourraient s’appuyer. Et la pauvreté cachée, liée à la solitude, reste muette. « Parce que l’on a sa dignité », comme l’on dit, et que l’on ne veut pas avouer cette dégradation des conditions de vie.

 

3.                  Plus largement, vous êtes, nous sommes témoins d’un phénomène plus large et qui est difficile à saisir : notre société est devenue très complexe et, en même temps, elle est souvent très cloisonnée, de sorte que l’information ne circule pas et que les personnes en difficulté sont comme « ballottées » de services en services, et que chacun se renvoie la balle, sans prendre de responsabilités. Ce n’est la faute de personne, mais c’est un système compliqué qui tend à devenir inhumain, qui ne respecte plus les personnes avec ce que chacune a d’unique, au-delà ou en deçà de ses besoins.

Je me rappelle souvent de ce récit venant de l’un des membres du Secours catholique, du côté de Segonzac. On demande à cette personne d’aller visiter une jeune mère seule avec ses enfants. Elle y va. Elle attend, on lui ouvre la porte, et elle est horrifiée par l’état de saleté, de désordre, de misère de l’appartement. Elle fournit aussitôt une aide d’urgence, elle donne un peu d’argent et elle dit : « Je reviendrai ». Et elle revient deux ou trois jours après : l’appartement est transformé, il est en ordre, les enfants n’ont plus l’air triste, et elle demande à la mère : « Mais que s’est-il passé ? » Et la mère lui répond : « L’autre jour, quand vous êtes venue me voir, j’allais me suicider avec mes enfants. Et vous êtes venue me voir. »

 

4.                  C’est clair ou ce devrait être clair : notre société complexe manque et a besoin d’attention réelle aux personnes, avec ce que chacune a d’unique, à commencer par celles qui sont à l’écart, qui se marginalisent parce qu’elles n’osent plus se montrer.

Attention aux autres, et aux plus proches : ceux et celles que l’on ne remarque pas ou que l’on ne remarque plus, parce qu’ils ont glissé aux marges de notre société.

Et cette attitude-là, qui peut sembler gentille, est en réalité un acte de courage, en tout cas un acte de résistance aux logiques déshumanisantes qui marquent notre société, y compris avec les meilleures préoccupations d’efficacité.

Voilà l’identité spécifique du Secours catholique : être aux aguets, veiller, regarder, écouter, comprendre et sans rêver de résoudre tous les problèmes sociaux, faire valoir cette présence personnelle à des personnes, qui peut être parfois une présence salvatrice, au sens fort : qui sauve de la mort et des tentations suicidaires.

            Je souris lorsqu’à l’occasion d’un drame dans un quartier difficile (une personne s’est tuée ou a accompli un acte de violence), on vient interroger les voisins, qui répondent : « Ah ! Mais c’était quelqu’un de très tranquille, très ordinaire ! Mais on ne lui parlait pas ! On ne le connaissait pas ! » Il y a des silences qui tuent. Et quand on parle de société d’indifférence, il faut préciser qu’il ne s’agit pas seulement de l’indifférence religieuse à Dieu, mais de l’indifférence existentielle, de l’indifférence aux autres, parce que les autres sont traités comme des gens indignes d’attention, et, pire encore, des étrangers.

            Nous ne pouvons pas nous résigner à ce qui rend notre société inhumaine. Et nous avons, vous avez la responsabilité, la mission, non seulement de démasquer ces attitudes inhumaines, mais de pratiquer en permanence un ministère de présence, d’attention, de proximité.

 

 

III – EN PRATIQUANT LA CHARITÉ CHRÉTIENNE

 

            Je vous demande ici un petit effort, parce que je voudrais vous dire des choses qui ne sont pas toujours évidentes. Je voudrais essentiellement dire ceci : la religion chrétienne, la pratique chrétienne n’est pas un humanitarisme, elle ne peut pas se contenter des principes de compassion et de solidarité, même si elle les inclut. Elle est d’abord la religion du prochain, avec tout ce que cela implique. Et cela implique l’engagement de Dieu lui-même et, en même temps, l’exercice de la bonté à l’égard de n’importe qui, comme le disait Madeleine DELBRÊL.

 

1.                  Permettez-moi d’insister sur cette « différence » chrétienne que nous avons à comprendre et à pratiquer, et qui n’est pas selon les « lois du monde », et en particulier les lois de l’humanitarisme.

L’humanitarisme fait appel à la compassion, et la compassion est respectable, mais elle recouvre une attitude très discutable. La compassion repose sur le sentiment du semblable : on s’identifie à celui ou à celle qui souffre, on le perçoit comme mon semblable, et on désire le délivrer de sa souffrance, comme on désirerait être délivré de la sienne propre. Mais voilà la déviation : l’autre me renvoie à moi-même, et en voulant le soigner ou le soulager, je me soigne ou je me soulage moi-même, puisque je suis son semblable. Mais cette identification avec l’autre comporte toujours le fait de ne pas souffrir comme lui, de ne pas être à sa place. Et donc la compassion m’émeut, mais elle est viciée par ce retour sur soi. On s’aime soi-même en s’apitoyant sur l’autre ou les autres.

La pratique à laquelle nous appelle Jésus est très différente, et c’est la parabole du Bon Samaritain qui l’exprime le mieux (Luc 10,29-37). Cette parabole a pour point de départ un dialogue entre Jésus et un légiste de Jérusalem. À ce légiste qui l’interrogeait sur la façon d’obtenir la vie éternelle, Jésus a répondu en citant le premier des commandements de Dieu (Lév. 19,18) : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton être, et ton prochain comme toi-même ». Et le légiste a alors posé la question : « Et qui est mon prochain ? » Question intéressée, car il part de lui-même. Il se fait le critère de la Loi de Dieu.

Et Jésus répond en déplaçant totalement la question : cet homme, qui allait de Jérusalem à Jéricho à travers le désert de Juda et qui est tombé aux mains des brigands, cet homme abandonné au bord de la route, qui est devenu son prochain ? Qui s’est approché de lui ? Qui s’est occupé de lui ? Pas le prêtre, qui est accaparé par ses activités de prêtre. Pas le lévite, qui va son chemin, mais ce Samaritain, cet étranger, cet hérétique, qui a vu l’homme blessé, qui a été saisi de pitié, et qui agit pour lui…

Qui est le prochain ? C’est celui que l’on rencontre et que l’on n’avait pas prévu. Qui s’est montré le prochain de l’homme abandonné ? « Celui qui a fait preuve de bonté à son égard. »

De bonté : et Madeleine DELBRÊL a su montrer l’importance de la bonté chrétienne dans un monde athée, où Dieu est oublié, absent, silencieux, et où se côtoient l’indifférence et la compassion :

« L’Évangile n’est annoncé vraiment que si les chrétiens qui l’annoncent tendent de toutes leurs forces à avoir un cœur bon. Car, même dans un monde peuplé de bonnes gens, la bonté d’un cœur converti au Christ ne ressemblerait pas aux autres bontés. Cette bonté propre au Christ ne laisse place à nos inventions que lorsque nous avons satisfait à ses lois qui sont strictes et précises. Elle réclame que nous aimions n’importe qui, jusqu’au bout et n’importe quand. Elle n’accepte aucune bonne raison de ne pas être bon. Et ce n’importe qui doit être pour nous le Pierre ou Paul qu’il est pour le Jacques ou Jean que nous sommes, car ce n’importe qui doit avoir pour nous la valeur irremplaçable, unique, qu’elle a pour Dieu. » (Athéismes et évangélisation, texte de 1962, dans Nous autres, gens des rues, Paris, 1966, p.270).

La bonté repose donc sur une capacité de reconnaître et de rencontrer les autres, tout autre, tout prochain, comme des frères et des sœurs selon Dieu. Et cette reconnaissance-là va très loin :

« La charité pour autrui est fraternelle et elle ne peut être que fraternelle. Nous sommes avec tout homme vivant frère de création et de rédemption. C’est un fait. Le vivre en est un autre. Cette fraternité prime tous les autres liens humains. Quoi que nous soyons les uns pour les autres par les relations de la chair et du sang, de l’affection et de l’amitié, de la société et de la proximité, nous resterons toujours des frères d’origine et de salut. C’est un fait : il faut le vivre. » (Ibid., p.270-271).

Et elle ajoute cette confidence et cette recommandation qui en dit très long sur la pratique chrétienne de la bonté :

« Rien au monde ne nous donnera la bonté du Christ sinon le Christ lui-même. Rien au monde ne nous donnera l’accès au cœur de notre prochain sinon le fait d’avoir donné au Christ l’accès au nôtre. » (Ibid., p.271).

 

Cette journée de ressourcement, au début de notre marche vers Pâques, est faite pour donner au Christ l’accès à notre cœur.

 

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