Le blog de Mgr Claude DAGENS

LA LITURGIE ET LA PASTORALE SACRAMENTELLE AU COEUR DE LA MISSION DE L'ÉGLISE

15 Septembre 2010 Publié dans #Conférences

Le dimanche 29 Août 2010 s’est ouverte à Merville, dans le diocèse de Lille, la première rencontre de l’association Sacrosanctum Concilium, qui a été récemment créée pour réunir des responsables de la pastorale liturgique et sacramentelle en France et dans d’autres pays francophones.

            Voici la première partie de la conférence inaugurale de Monseigneur DAGENS, évêque d’Angoulême, qui a été lue et communiquée aux participants de cette rencontre.

 

 

 

LA PLACE CENTRALE DE LA LITURGIE DANS LA VIE DE L’ÉGLISE

 

            Depuis quelque temps, un seuil important est franchi : on reconnaît la place centrale que tiennent la liturgie, la prière et les sacrements de l’Église dans la vie ordinaire des communautés chrétiennes en France. On a renoncé assez généralement à cette opposition factice et dangereuse, que l’on avait conçue et pratiquée jadis, entre ce que l’on appelait le culte et la mission, le premier étant déprécié et considéré comme secondaire du point de vue de son efficacité pastorale.

            À sa manière, en 1996, la Lettre aux catholiques de France n’a pas hésité à affirmer le rôle primordial de la liturgie en vue de « former une Église qui propose la foi ». Cette affirmation, profondément fidèle à la grande Tradition de l’Église, peut aussi être justifiée par le réalisme pastoral : car les actes sacramentels, dans leur accomplissement et dans leur préparation, participent au travail d’évangélisation. L’expérience montre que ce sont souvent des personnes étrangères à la foi catholique qui perçoivent quelque chose du mystère de Dieu, en assistant à la célébration d’un baptême, d’un mariage, ou à des funérailles, ou à l’Eucharistie du dimanche. Le langage des signes liturgiques les atteignent ou les éveillent au-delà du langage des mots, d’autant plus que ces personnes ne disposent pas de mots pour nommer leur recherche de Dieu.

            Et les nouveaux croyants qui sont parmi nous (catéchumènes, néophytes, jeunes d’âge scolaire qui se préparent au baptême, à la première communion ou à la confirmation) attendent avant tout d’être initiés à la nouveauté du mystère chrétien. Ils comprennent souvent d’eux-mêmes que la liturgie, à travers ses signes, fait appel à leur intériorité, et que le silence de recueillement y a sa place tout autant que les paroles et les gestes. C’est cela qu’ils retiennent quand ils participent aux rencontres de Taizé ou à un pèlerinage à Lourdes : cette espèce d’ouverture au mystère de Dieu qui les saisit de l’intérieur et leur donne de comprendre et de regarder autrement le monde et eux-mêmes.

 

            Mais il serait injuste de penser que ces moments privilégiés d’initiation au mystère de la foi font partie de l’extraordinaire. On constate aussi, dans ce que l’on appelle la pastorale ordinaire, c’est-à-dire dans le cadre de nos paroisses, une revalorisation certaine de la prière et de la liturgie. On ne sait pas assez toutes les initiatives qui sont prises, en beaucoup d’endroits, non seulement pour ouvrir nos églises, mais pour y proposer des temps de prière, d’adoration du Christ de l’Eucharistie, d’écoute simple de la Parole de Dieu, surtout à certaines périodes de l’année, de l’Avent au Carême et au mois de mai.

            Et il n’est sans doute pas possible de mesurer le travail que des prêtres et des laïcs déploient pour que la célébration des sacrements de l’initiation chrétienne, spécialement du baptême et de la confirmation des jeunes et des adultes, soit parlante de Dieu et de ses dons.

            Quant à la célébration de l’Eucharistie, en raison même de la mobilité qui marque notre société, elle ne réunit pas seulement des habitués, mais aussi des gens de passage, des « pèlerins », des personnes qui y viennent comme on vient à une source de vie nouvelle  et de fraternité réelle, à cause du Seigneur Jésus, notre frère.

            Qu’il existe des médiocrités, des dérives, des infidélités à la Tradition vivante de l’Église, on ne peut pas le nier ! Mais c’est à nous de faire connaître et même de faire valoir notre souci tenace d’une liturgie qui cherche à conduire au cœur du mystère de la foi, qui soit simplement mystagogique, en laissant transparaître la présence et l’action de Dieu parmi nous, dans le Corps vivant de son Église.

            Comment encourager ce renouveau liturgique dans la vie du peuple de Dieu ? Où se trouvent les difficultés à surmonter ? De quelle façon peut-on favoriser les évolutions et les conversions nécessaires ? Pour répondre à ces questions, on peut mettre en relief quelques points sensibles qui correspondent à autant d’exigences théologiques et pastorales :

            - MANIFESTER LA SACRAMENTALITÉ DE L’ÉGLISE

            - RELIER LA LITURGIE ET LES SACREMENTS À L’ÉVANGÉLISATION

            - FACE À DES SENSIBILITÉS DIVERSES, ALLER AU CŒUR DE LA LITURGIE            

 

MANIFESTER LA SACRAMENTALITÉ DE L’ÉGLISE

 

            C’est l’exigence primordiale : il s’agit de faire en sorte qu’à travers les actes et les signes de la liturgie, l’Église apparaisse visiblement dans sa vérité profonde, sa vérité sacramentelle, puisqu’elle est « dans le Christ, comme le sacrement, c’est-à-dire le signe et l’instrument de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain », selon la grande affirmation du Concile Vatican II, dans sa Constitution sur l’Église (Lumen gentium 1).

 

            Mais des obstacles réels demandent à être affrontés et surmontés pour que la mise en œuvre de cette affirmation puisse se réaliser d’une manière authentique. L’Église de Dieu, même si elle se réalise à travers des formes et des actes concrets, même si elle s’inscrit à l’intérieur des réalités sociales, est d’abord le Corps du Christ, inséparable du mystère de son Incarnation, de sa Passion et de sa Résurrection. Tout en elle, et spécialement sa liturgie, est lié à ce mystère et à sa manifestation.

            Que des historiens et des sociologues considèrent l’Église comme une institution particulière, dont on étudie les fonctionnements et les évolutions, est tout à fait normal. Mais cette méthodologie ne peut saisir la réalité de l’Église que d’une façon partielle.

            C’est à nous, membres de l’Église, qu’il appartient d’accéder à une compréhension sacramentelle de l’Église. Ce qui signifie d’abord que l’on ne peut pas se résigner à une perception seulement fonctionnelle des relations à l’intérieur du Corps du Christ : comme s’il s’agissait d’un système à l’intérieur duquel il faudrait se répartir des pouvoirs, en évaluant, en limitant ou en élargissant ces pouvoirs.

            Cette logique finalement quantitative est parfois une tentation. Elle ne permet pas d’entrer vraiment dans la réalité sacramentelle de ce Corps du Christ que nous formons. Les signes de l’Alliance de Dieu avec nous passent par notre humanité concrète. L’Amour du Christ passe par nous, par notre façon de prier, d’accueillir la Parole de Dieu, d’être présents les uns aux autres, et aussi d’accueillir et de rencontrer ceux que l’on appelle des « demandeurs de sacrements ».

            La communion de l’Église ne fait pas appel d’abord à de bons sentiments, mais à notre manière de participer à cette communication du Don de Dieu à travers la liturgie et les sacrements. Il faut donc à la fois distinguer nos missions particulières dans le Corps du Christ (les laïcs baptisés à partir du baptême, les évêques, les prêtres et les diacres à partir de leur ordination) et nous reconnaître mutuellement avec ces différences réelles.

            Mais il est nécessaire, en même temps, de reconnaître la source commune de notre mission, telle que la liturgie la manifeste : c’est le mystère pascal du Christ Jésus actualisé dans les sacrements de l’Église et spécialement dans l’Eucharistie, qui fait de nous, d’une manière réelle et sensible, le Corps du Seigneur pour la vie du monde.

            Le mystère pascal n’est donc pas un événement qui resterait comme extérieur à notre humanité. Au contraire : il est le cœur même de l’engagement de Dieu quand il vient tout assumer et tout renouveler de notre condition d’hommes, avec notre finitude, notre mortalité et aussi avec la puissance du mal qui, sous des formes multiples, travaille aussi dans l’histoire. L’Église du Christ n’existe donc jamais pour elle-même : elle est essentiellement reliée à la fois au don de Dieu qui veut se communiquer aux hommes et à l’histoire de ce monde, de cette création qui continue à « gémir dans les douleurs de l’enfantement » (Rom. 8,22).

            C’est à travers la liturgie de l’Église que se révèle et s’effectue de manière sensible cette relation intime entre l’Alliance de Dieu et les attentes des hommes. Et c’est pourquoi il est si important dans la célébration et aussi dans la préparation des sacrements de laisser simplement parler les signes à travers lesquels s’opère cette relation transformante : l’eau du baptême, l’huile de la confirmation, le pain rompu et la coupe partagée, avec les paroles et les gestes qui accompagnent ces signes.

            Comme bien d’autres, je suis convaincu que, pour les temps actuels, en raison même d’un climat assez général d’indifférence et d’ignorance religieuses, il est très important non seulement de revaloriser ce langage des signes, qui ne se mesure pas selon les critères d’une efficacité immédiate, mais surtout de montrer que ce langage est profondément révélateur, révélateur de ce qu’il y a de plus profond et même de plus réellement humain dans notre existence : précisément des réalités de vie et de mort, des attentes de vérité et de délivrance, de confiance et de reconnaissance.

            D’autant plus que chaque acte sacramentel, tout en manifestant la relation du Christ à notre humanité, s’adresse aussi à la liberté des personnes, en venant renouveler de l’intérieur leur dignité. « Je te baptise au nom du Père, et du Fils et du Saint Esprit ». « Sois marqué de l’Esprit Saint, le don de Dieu ». « Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir, mais dis seulement une parole et je serai guéri ». Le don de Dieu s’accomplit : il demande à être reçu. Et c’est pourquoi les actes de la liturgie, des sacrements eux-mêmes aux gestes et aux paroles qui constituent toutes les célébrations de l’Église, sont marqués par un double dépassement : à la fois du côté de Dieu qui s’ouvre à nous gratuitement dans le mystère de son Fils, par la force insensible de son Esprit Saint, et de notre côté, si nous consentons à accueillir ces dons de Dieu à l’intérieur de notre existence.

            La structure de la liturgie est donc fondamentalement dialogale, en raison même de cette relation constitutive. Et c’est pourquoi il faut encourager une participation réelle du peuple de Dieu à l’accomplissement de cette relation. Mais, en même temps, on ne peut pas et on ne doit pas manipuler la liturgie, selon nos goûts ou nos préférences. Parce qu’elle n’est pas un objet sur lequel on ferait des expériences, mais qu’elle participe à la sacramentalité de l’Église, « signe et instrument de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain ». Quel que soit le nombre de ceux qui participent à une célébration, c’est cette vocation-là qui les rassemble.

 

 

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