Le blog de Mgr Claude DAGENS

LETTRE OUVERTE AU PAPE FRANÇOIS, écrite par Mgr Dagens, et publiée dans "La Croix", du 30 septembre 2013

1 Octobre 2013

LETTRE OUVERTE AU PAPE FRANÇOIS, écrite par Mgr Dagens, et publiée dans "La Croix", du 30 septembre 2013

Cher pape François,

Au lendemain de votre élection, en mars 2013, notre ami le cardinal français Roger ETCHEGARAY vous a envoyé un poème dans lequel il vous exprimait avec finesse sa joie et sa confiance. Permettez-moi de vous dire aujourd’hui ma très vive reconnaissance pour les réflexions que vous venez de confier aux revues dirigées par vos frères jésuites. D’autant plus que ces paroles prolongent celles que vous avez adressées aux évêques du Brésil, en juillet dernier, lors des Journées mondiales de la jeunesse.

Comme vous le soulignez vous-même dès le début de l’interview, vous êtes malin, et, mine de rien, vous appelez l’Église entière à un grand déplacement de ses priorités pastorales, comme me l’a dit aujourd’hui même un chrétien de mon diocèse. Ce grand déplacement des priorités pastorales est inspiré par un grand acte d’espérance, qui s’inscrit dans cette tradition spirituelle qui laisse à Dieu la liberté de venir nous surprendre.

Tout le monde perçoit deux insistances majeures dans vos paroles : la priorité du renouveau de la vie chrétienne par rapport aux réformes institutionnelles et l’appel à ne pas mettre les questions morales et les solutions disciplinaires à la place de l’essentiel, qui se trouve dans la Révélation de Jésus Christ Sauveur.

Vous le savez bien, très saint Père : ces deux insistances sont profondément libératrices et aussi très traditionnelles. Tous ceux qui ont lu Vraie et fausse réforme dans l’Église du Père Yves-Marie CONGAR savent bien que, tout au long de l’histoire, les réformes dans l’Église sont inséparables d’un travail en profondeur qui redonne à Jésus Christ sa place centrale dans la foi et la vie chrétiennes. Benoît, François, Ignace, et bien d’autres, ont été donnés par Dieu pour susciter ce renouveau spirituel qui prépare les transformations de structures. Merci de nous redire que « la première réforme doit être celle de la manière d’être » et que « les ministres de l’Évangile doivent être des hommes capables de réchauffer le cœur des personnes, de dialoguer et de cheminer avec elles, de descendre dans leur nuit, dans leur obscurité, sans se perdre. » Quelles belles découvertes et quelles belles rencontres nous attendent alors, sur ces chemins ouverts !

Quant à la morale chrétienne, à partir de l’Évangile et comme dans les lettres de l’apôtre Paul, elle découle de la Révélation du Christ, qui « vient chercher et sauver ce qui était perdu » (Luc 19,10). Soyez remercié, cher pape François, de nous le dire avec clarté : « Nous ne pouvons pas insister seulement sur les questions liées à l’avortement, au mariage homosexuel et à l’utilisation des méthodes contraceptives », et « nous devons trouver un nouvel équilibre, autrement l’édifice moral de l’Église risque lui aussi de s’écrouler comme un château de cartes, de perdre la fraîcheur et la saveur de l’Évangile. »

Mais nous pouvons dès maintenant, comme vous l’avez conseillé aux évêques du Brésil, pratiquer la pastorale non seulement de l’accueil, mais du cheminement, à la lumière du récit des pèlerins d’Emmaüs, en formant « une Église en mesure d’aller au-delà de la simple écoute, une Église qui accompagne le chemin en se mettant en chemin avec les personnes, une Église capable de déchiffrer la nuit contenue dans la fuite de tant de frères et de sœurs de Jérusalem. »

Merci, cher pape François, de nous encourager à ce travail continu de présence et de discernement, par lequel nous découvrons que les autres ne sont pas pour nous des clients, mais des signes vivants à travers lesquels Dieu se manifeste à nous !

Mais le plus beau de vos réflexions me semble encore davantage, non pas dans l’ouverture au monde, comme nous l’avons dit quelquefois de façon naïve, mais dans votre appel à l’ouverture exigeante du cœur et de l’intelligence, qui empêche toute attitude de repliement et de méfiance, et aussi le rêve « d’occuper des espaces de pouvoir ». Je souhaite que votre avertissement soit entendu : « Les lamentations ne nous aideront jamais à trouver Dieu. Les lamentations qui dénoncent un monde “barbare” finissent par faire naître à l’intérieur de l’Église des désirs d’ordre entendu comme pure conservation ou réaction de défense. Non : Dieu se rencontre dans le présent. »

Cette conception si traditionnelle de la présence de Dieu dans l’histoire me fait penser au Père de LUBAC et à sa Méditation sur l’Église, écrite vers 1953, à une époque éprouvante pour lui. Cet homme de cœur et d’intelligence a puisé alors dans les sources chrétiennes cette compréhension ouverte de la foi, qui laisse place à l’incertitude humaine pour donner toutes ses chances à ce que Dieu nous révèle et nous donne.

Cher pape François, j’aurai encore beaucoup de choses à vous dire, en vous remerciant d’évoquer ces peintres, ces musiciens et ces écrivains que vous aimez. J’ai souvent contemplé le tableau du Caravage à Saint-Louis-des-Français, et ce rayon de lumière qui va de Jésus au publicain Matthieu, « ce pécheur sur lequel le regard du Seigneur s’est posé ». J’aime aussi beaucoup, non loin de là, dans l’église Saint-Augustin, la Madone des pèlerins du même Caravage. Dans les bras de sa mère, l’enfant Jésus rayonne de lumière, et Marie se tourne vers cet homme et cette femmes âgés qui sont agenouillés devant elle. L’homme et la femme prient tous les deux, mais de manières différentes. L’homme est courbé, implorant et l’on voit ses pieds nus qui pressent le sol. La femme, elle, est comme en dialogue avec la Madone, elle la regarde, elle la remercie, alors que l’homme s’adresse plutôt à l’enfant qui le bénit.

Le mystère de notre humanité est là : la présence rayonnante de Jésus, l’amour de sa mère et ce bel abandon de l’homme et de la femme qui vivent un moment d’éternité. Voilà le mystère de l’Église : dans la nuit d’où surgit la lumière, nous ne cessons pas de marcher, et Dieu est là, et sa bénédiction nous accompagne ! Merci, cher pape François, d’être avec nous sur ce chemin ouvert ! Que l’Esprit Saint vous donne de l’ouvrir encore davantage, au nom de la miséricorde du Christ !

À Angoulême, le 22 septembre 2013

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