Le blog de Mgr Claude DAGENS

PETITE MÉDITATION SUR LE MYSTÈRE DE DIEU

1 Juillet 2009 , Rédigé par mgrclaudedagens.over-blog.com Publié dans #Méditations - récollections

Rencontre avec l'École de la foi, à l'abbaye de Maumont, le 27 juin 2009

 

 

 

Si l’on demande : « Quelle est la mission primordiale de l’Église ? », je répondrai sans hésiter : susciter, encourager, garantir l’ouverture à Dieu, au mystère de Dieu à l’intérieur de notre humanité qui est aujourd’hui incertaine plutôt qu’assurée.

 

            Je fais écho ainsi à la conviction que le pape Benoît XVI exprimait dans sa lettre aux évêques, en mars dernier, à la suite des remous provoqués par la levée des excommunications des évêques intégristes. Certes, il s’agit de travailler à la réception du Concile Vatican II. Mais il s’agit, à travers la réception réelle de ce Concile, de garder le cap sur l’essentiel : le mystère de Dieu, l’ouverture à Dieu et l’ouverture de Dieu à notre humanité.

 

            Mais je ne partagerai peut-être pas tout à fait le diagnostic porté par Benoît XVI sur l’état culturel et spirituel de notre monde : lui estime que Dieu s’efface à l’horizon de notre histoire. Je n’en suis pas sûr : l’effacement public des références à Dieu est indéniable, mais il me semble que cet effacement s’accompagne souvent d’une sorte d’attente, de quête spirituelle.

 

            De toute façon, il nous faut répondre à la question : « Qui est Celui que nous appelons Dieu ? Comment se révèle-t-il à nous ? Comment nous ouvrir à Lui ? »

 

            Je répondrai en deux temps :

 

            - Il est Celui qui passe parmi nous et qui veut demeurer avec nous

 

            - Il est Celui qui vient dissoudre le mal à l’intérieur de notre humanité.

 

 

 

 

 

I. CELUI QUI PASSE PARMI NOUS ET QUI VEUT DEMEURER AVEC NOUS

 

 

 

            1. Je me situe ici dans la grande tradition de la Révélation de Dieu, de l’Ancien au Nouveau Testament. Dieu sort de lui-même, il s’ouvre à nous, il vient à nous, il se lie aux hommes : il veut passer parmi nous et demeurer avec nous.

 

            C’est d’abord le Dieu de Moïse et de l’Exode. Je suis frappé de constater que les catéchumènes sont très sensibles à cette révélation première de Dieu, de Dieu comme Celui qui vient libérer son peuple.

 

            Je pense à ce jeune de 14 ou 15 ans qui avait spontanément évoqué le récit du buisson ardent et, comme je lui demandais ce qu’il avait compris, il avait répondu aussitôt : « J’ai vu. C’est vrai ». Comme si lui-même se situait du côté de Moïse.

 

            Arrêtons-nous à ce récit (Exode 3, 1-15). Moïse est exilé à Madiân, après le meurtre d’un égyptien. Et c’est à cet homme coupable d’un meurtre que Dieu va se révéler. En deux moments distincts : il se relie d’abord à la tradition des pères : « C’est moi le Dieu de ton père, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob » (Ex 3, 6). Il porte le nom de ces hommes qui ont cru en lui. Comme pour les catéchumènes : Dieu est celui auquel croyait telle ou telle personne aimée dont on se souvient. Cette relation à une tradition qui précède est fondatrice.

 

            Mais ce Dieu des pères est un Dieu qui s’engage d’une manière nouvelle (Ex 3, 7) : « J’ai vu, j’ai vu la misère de mon peuple… Je suis résolu à le délivrer… » Et cet engagement prend aussitôt la forme d’une alliance : « Je serai avec toi » (Ex 11, 12).

 

            Et c’est ensuite que Dieu dit son nom unique, ce nom qui le distingue radicalement des autres divinités des environs : « Je suis celui qui suis » (Ex 3, 14). Et cette révélation du nom est inséparable du nouvel engagement de Dieu avec Moïse : « ‘Je suis’ m’a envoyé vers vous » (Ex 3, 14).

 

 

 

            Et nous ne pouvons pas oublier que l’apôtre Paul reliera plus tard cette alliance et cette délivrance opérée par Dieu avec Moïse de l’événement du baptême (1 Cor. 10, 2). Les signes et les gestes du sacrement chrétien sont comme l’actualisation des événements de l’Exode : révélation, alliance, délivrance.

 

            Les catéchumènes comprennent spontanément cela. Ils comprennent ce que nous, nous oublions parfois : à la source de l’existence chrétienne, il y a une initiative de Dieu qui vient à nous et qui se lie à nous.

 

 

 

 

 

            2. Et qui veut demeurer avec nous. C’est le second élément de cette révélation qui se déploie évidemment dans l’événement de l’Incarnation rédemptrice : Dieu est là, avec nous, en Jésus Christ, à l’intérieur de notre humanité. Et il ne cesse pas de « frapper à la porte ». Il attend d’être accueilli. C’est vrai à Bethléem, au moment de sa naissance. C’est vrai en Galilée et en Judée au temps de sa vie publique. C’est vrai après la Résurrection, au Cénacle : il vient et il attend d’être reconnu.

 

            Le voyant de l’Apocalypse exprime cette attente du Christ, dans un cadre eucharistique : « Voici je me tiens à la porte et je frappe ; si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui pour souper, moi près de lui et lui près de moi » (Apoc. 3, 20).

 

            Autrement dit, Dieu attend notre hospitalité. Dieu est Celui qui demande à être reconnu et reçu, et qui ne cesse pas de patienter. Il y a sans doute à nous interroger sur la visibilité sacramentelle de l’Église, c’est-à-dire sur la manière dont nous manifestons Dieu au monde.

 

            Mais il faut nous interroger aussi sur nos capacités d’accueillir Dieu qui passe. Où en sommes-nous de nos capacités d’hospitalité habituelle ? La règle bénédictine insiste sur cet aspect de la vie chrétienne : l’hôte est une figure du Christ. Savons-nous accueillir Celui qui vient, Celui qui passe, Celui qui veut demeurer parmi nous ?

 

            De ce point de vue, je crois qu’il nous faudrait relier très intimement deux pratiques chrétiennes : l’adoration du Christ de l’Eucharistie et l’accueil mutuel dans nos communautés.

 

            La charité chrétienne se vit et se réalise à travers ces deux pratiques :

 

            - Adorer l’Eucharistie, c’est laisser le Christ demeurer au milieu de nous et nous associer à sa Pâque à travers le signe du pain rompu.

 

            - Mais on ne peut pas adorer le Christ dans le signe du pain rompu, du corps livré, sans apprendre à s’ouvrir, si peu que ce soit, à ceux qui nous sont proches, les connus et les inconnus.

 

            - De ce point de vue, les ostensions sont porteuses d’une magnifique pédagogie : ces saints et ces saintes, ces martyrs, dont on porte les reliques, nous sommes heureux de les accueillir, de les laisser passer parmi nous et de cheminer avec eux.

 

            S’ils ont été martyrs, alors ils ont communié à la Pâque du Christ. Avec Lui, ils sont passés de ce monde au Père, et avec eux, nous apprenons à passer nous aussi de ce monde au Père. Les ostensions sont un rite public de passage. Elles veulent confirmer le peuple chrétien dans son identité : un peuple qui passe au milieu de tous et qui témoigne du passage et de la présence du Seigneur.

 

 

 

 

 

II. CELUI QUI VIENT DISSOUDRE LE MAL À L’INTÉRIEUR DE NOTRE          HUMANITÉ

 

 

 

            1. L’énigme du mal, sous toutes ses formes, est extraordinairement présente à notre conscience collective et à notre inconscient collectif.

 

            C’est vrai à travers les médias, des informations ordinaires (avec des avalanches de procès) aux spectacles ou aux morts extraordinaires (Michaël Jackson).

 

            C’est vrai à travers la littérature et le cinéma : le mal est surexposé, en même temps qu’il est refoulé et caché.

 

 

 

            2. Face à l’énigme du mal, il faut faire très attention.

 

            Attention à une complaisance plus ou moins consciente pour la souffrance comme si le christianisme se nourrissait des souffrances du pauvre monde et comme si notre Dieu était finalement dépendant du mal, soit comme l’antidote du mal (c’est le piège du manichéisme), soit comme un Dieu qui incarnerait le ressentiment des vaincus, un Dieu triste et vaincu.

 

 

 

            3. Le christianisme, c’est le Christ qui vient dissoudre le mal à l’intérieur de notre humanité. Et cette dissolution n’a pas la forme d’une stratégie, mais d’une transfiguration.

 

            En Jésus Christ, Dieu vient tout saisir de notre condition humaine pour tout renouveler. Cela s’appelle le mystère pascal, qui s’inscrit en nous par le baptême :

 

            «  Si nous sommes morts avec le Christ, nous croyons que nous vivrons aussi avec lui, sachant que le Christ ressuscité des morts ne meurt plus, que la mort n’exerce plus de pouvoir sur lui. Sa mort fut une mort au péché, une fois pour toutes, mais sa vie est une vie à Dieu. Et vous de même, regardez vous comme morts au péché et vivants pour Dieu dans le Christ Jésus » (Rom. 6, 8-10).

 

 

 

            Il s’agit donc d’un passage et d’un changement de vie dont la source se trouve dans l’événement pascal lui-même, mort et résurrection. Et l’on peut percevoir la profondeur de cet événement à travers la personne du Ressuscité et la personne du Crucifié.

 

            - D’abord à travers la personne du Ressuscité, au milieu des siens, au Cénacle. Il vient et il se tient au milieu d’eux en leur disant : « La paix soit avec vous » (Jean 20, 19-20). Et il les envoie…

 

            - Aucun retour sur le passé. Aucune allusion à l’abandon des disciples. Aussitôt, il les engage dans une vie nouvelle : ils auront à témoigner de ce passage radical qui s’est opéré en Lui, « le premier né d’entre les morts » (Col. 1, 18). Le mal fait partie du passé, de l’existence ancienne, du monde ancien. Avec le Christ ressuscité, un monde nouveau est là, qui demande à se déployer : « Le monde ancien s’en est allé, un monde nouveau est déjà né » (2 Cor. 5, 17).

 

 

 

            Mais cette vie nouvelle, cette « gloire », elle passe toujours par la Croix. Et la croix du Christ demeure le haut lieu, le lieu primordial de cette révélation. Comme l’a montré Urs von BALTHASAR, la gloire de la résurrection est inséparable du mystère de la Croix : c’est de la passion même du crucifié que jaillit la source de la vie nouvelle.

 

            Le crucifié Jésus demeure le Fils qui continue à s’adresser à son Père : « Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font » (Luc 23, 34). C’est du Père, par le Fils, à travers la Croix, que viendront le salut et le pardon.

 

 

 

            C’est la croix elle-même qui est le lieu et le moment de ce passage. C’est là que le mal est traversé de l’intérieur, dissous, écarté pour toujours. C’est là que s’ouvre le chemin du Royaume : « Aujourd’hui même, tu seras avec moi dans le paradis » (Luc 23, 43) répond Jésus au criminel crucifié qui se tourne vers Lui.

 

            Voilà le plein sens du signe de la Croix :

 

                        - relation au Père au cœur même du mal et de la mort

 

                        - force du pardon qui passe par le sacrifice du Fils

 

                        - ouverture au Royaume de Dieu.

 

            L’énigme du mal n’est pas résolue. Elle est traversée de l’intérieur par une force qui n’est pas de ce monde, qui est la force même de la résurrection. Et c’est pourquoi le pardon est comme une petite résurrection, une transfiguration…

 

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