Le blog de Mgr Claude DAGENS

DIEU EST VIVANT DANS NOTRE CHAIR SI BELLE ET SI BLESSÉE. Homélie lors de l'Eucharistie en l'église Saint-Louis-des-Français, à Madrid, le 27 avril 2014

29 Avril 2014 Publié dans #Homélies

DIEU EST VIVANT DANS NOTRE CHAIR SI BELLE ET SI BLESSÉE. Homélie lors de l'Eucharistie en l'église Saint-Louis-des-Français, à Madrid, le 27 avril 2014

Je partirai de quelques faits réels pour aller à la source de cette histoire à laquelle nous participons, cette histoire de Dieu avec nous à partir de la Résurrection de son Fils, le premier-né d’entre les morts, le Ressuscité, Celui que l’apôtre Thomas a voulu voir et toucher.

Le premier fait est très lointain. C’était en 1214, à Poissy, près de Versailles. Un nouveau-né a reçu le baptême. Il s’appelait Louis, et sa mère était la reine Blanche de Castille. Et cet enfant va devenir un roi passionné de justice et de la justice pour tous, à commencer pour les plus pauvres, un roi qui vit pauvrement et qui lutte contre toutes les corruptions, saint Louis, roi de France, ami de Jésus Christ et de François d’Assise.

Et puis un autre événement va avoir lieu ici-même, au milieu de nous. Trois enfants vont recevoir le baptême. Ils s’y sont préparés. Merci à vous, Louis, Jeanne et Cassandra, de dire oui à l’amour de Dieu qui va s’inscrire sur vos corps, par l’eau versée sur votre tête, par l’huile qui marquera vos fronts et par la lumière allumée au cierge pascal.

Être baptisé, c’est porter en soi-même le signe du Christ, le signe de sa Pâque, et de sa promesse de nous associer à sa vie de Ressuscité.

Hier, le Père Patrick Royannais m’a conduit à Tolède, où nous avons longuement contemplé les peintures du Greco. Sur beaucoup de ces toiles, le Christ est là, vivant, avec son corps élancé, parfois vêtu de pourpre ou dépouillé quand il est sur la Croix, et aussi debout avec toute la force qu’il reçoit de son Père qui le relève de la mort. L’artiste de Tolède, Le Greco, célèbre à sa manière de peintre, avec des formes et des couleurs, la métamorphose du corps de Jésus, qui rayonne de la lumière de Dieu. Ce n’est pas un phénomène magique. C’est une métamorphose : tout de notre corps est ressaisi par le Christ dans l’événement de sa Pâque. Et Le Greco nous rend témoins de cette beauté de nos corps appelés à être renouvelés par la puissance de résurrection dont Jésus est la source.

Et pourtant – et c’est l’autre face, la face sombre de ce même phénomène – le Ressuscité reste un homme blessé. Et l’autre peintre de la même époque, Le Caravage, n’a pas peur de montrer Jésus se manifestant à Thomas : dans un beau clair-obscur, on voit l’apôtre qui s’approche pour vérifier, pour voir, et pour toucher le corps de Jésus, le Crucifié. Et Jésus se soumet à l’examen : « Touche mes mains transpercées ! Mets ta main dans mon côté, dans les blessures de la lance ! » Et Thomas a peut-être vérifié. Mais le plus beau, c’est ce qui n’est pas montré. Pendant que Thomas touche Jésus, Jésus, lui, regarde Thomas, il le regarde avec amour non pas comme l’homme qui doute, mais comme l’homme appelé à s’ouvrir à une révélation saisissante. Oui, Dieu n’a pas peur de tout prendre sur Lui de notre humanité. Ses blessures demeurent, mais elles ne sont plus signes de mort, elles laissent transparaître cette puissance douce qui saisit tout de notre sainte humanité.

Et peut-être que l’épreuve de la foi est là : osons-nous accepter que le Dieu tout-puissant soit si humain, si blessé et si vivant, si proche de nous, jusqu’à se laisser toucher, et si libre pour se passer de nos vérifications ? Il vient ! Il a la liberté de venir ! Il franchit les portes closes ! Il ouvre ce qui était fermé, pas seulement les portes du Cénacle, mais les mémoires et les cœurs des apôtres, enfermés dans la peur ! La peur des Juifs qui vont venir peut-être les arrêter, et aussi la peur de Dieu, non pas parce que Dieu aurait échoué, mais parce que Dieu est beaucoup plus humain que nous, puisque Lui ne craint pas d’apparaître avec son corps blessé, et surtout parce que Lui est plus réaliste que nous.

« Heureux ceux qui croient sans avoir vu ! » Voilà le réalisme de la foi ! Il ne suffit pas d’être proche physiquement pour se connaître. Il ne suffit pas d’accomplir les gestes et les actes de l’amour humain pour se comprendre. On peut être très proches et entretenir entre nous de grandes distances, d’immenses fossés.

Le pape François nous est donné pour nous inciter à ce réalisme de la foi, pour comprendre la mission réelle de l’Église, qui n’est pas d’abord une organisation porteuse d’ordre, mais le Corps du Christ, parfois blessé, mais toujours vivant. Il la compare même, l’Église, à un hôpital de campagne après une bataille. Et sa première mission est donc de soigner les blessures, de réchauffer les cœurs, de renouveler la fraternité en allant puiser à la source, là où jaillit la vie de Dieu, dans l’Amour du Père des cieux, dans l’amitié du Christ Jésus, notre frère, et dans la force douce de l’Esprit Saint. Comme sur les peintures du Greco : la colombe jaillit et répand la lumière et la force de Dieu. Tout est éclairé et c’est comme un nouveau commencement…

L’Église que nous formons accepte-t-elle ces nouveaux commencements ? Comme à Jérusalem au temps où les apôtres témoignent. Comme à Rome en ce jour où le bon pape Jean et le courageux pape Jean-Paul II sont proclamés saints. Comme à Madrid à cause du baptême de Louis, de Jeanne et de Cassandra.

Que Dieu nous donne cette joie inexprimable d’aimer Jésus sans l’avoir vu et de croire en Lui sans le voir encore ! C’est Pâques ! Tout est possible à ceux et celles qui croient sans voir, mais qui voient l’invisible à travers des signes… Et les signes, c’est nous, peuple de baptisés…

+ Claude DAGENS, évêque d’Angoulême

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